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18 novembre 2012 7 18 /11 /novembre /2012 11:58
II RELATIVITÉ ET INERTIE DE GALILÉE À EINSTEIN

 

1 / Relativité et inertie

On sait comment Koyré a reconnu à Descartes, plutôt qu'à Galilée, le mérite d'avoir formulé le premier le principe d'inertie ; dans cette prodigieuse transformation de l'image du monde devant aboutir quelques décennies plus tard aux Principia Mathematica, le physicien florentin aurait en effet, par son trop grand attachement au sphérique et au circulaire (Galilée considérait le mouvement circulaire et uniforme - non le mouvement rectiligne - comme inertiel, c'est-à-dire capable de se continuer de lui-même), reculé devant la destruction du Cosmos des Anciens et l'instauration de l'univers infini des Modernes, (cf. Études galiléennes, Paris, Hermann, 1939 ; voir aussi Du monde clos à l'univers infini, P.U.F., 1962). Or à la même époque, Frédéric Enriques affirmait l'identité du principe d'inertie et du principe de relativité unis chez Galilée dans une même découverte. A propos du Dialogue, il écrivait ainsi :

 

 «  Dans la lutte que ... (Galilée) a entreprise contre les péripatéticiens, il convient de voir non pas tant une polémique contre les adversaires du dehors qu'un combat qui devait être livré dans l'esprit même du philosophe contre les paradoxales idées neuves qui venaient heurter les habitudes invétérées de la pensée. Les arguments tirés d'Aristote opposent, à vrai dire, à l'hypothèse copernicienne les apparences sensibles selon lesquelles la Terre, dans sa course, devrait laisser derrière elle tous les objets qu'elle porte, de même qu'un corps en chute libre devrait toucher terre bien en arrière du pied de la verticale. Le système de Copernic exige en soi que ces arguments soient réduits à néant. De cette exigence découlent précisément les lois de la dynamique et ce qui, dans ces lois, semble le plus éloigné de l'expérience de tous les jours, le principe d'inertie et le principe de relativité qui ne constituent qu'une seule découverte. Il s'ensuit donc que le principe de la dynamique et la justification de la thèse copernicienne s'associent indissolublement dans la pensé de Galilée, et bien mal en prend la critique de vouloir briser ce lien. On pourra toutefois remarquer qu'il n'y a pas, dans ce livre, une vraie démonstration de l'hypothèse copernicienne, mais seulement la réfutation des objections qui empêcheraient de l'accepter. Ce qui faisait surtout obstacle au triomphe des vues de Copernic, c'était justement les conséquences mécaniques paradoxales qui semblaient en résulter... (SPN, extrait de l'introduction au Dialogo dei massimi sistemi, Rome, Éd. Sandron, 1945. Cité par Ludovico Geymonat : Galilée, op. cit., p. 185)

La question du lien entre relativité et inertie se pose également à la lecture de Galilée, Newton lus par Einstein. Après avoir relevé l'idée de perspective dans le principe galiléen de relativité et la formulation imagée chez Galilée de l'idée d'inertie (« le mouvement uniforme est imprimé de façon indélébile aux objets qui le partagent », cf. GNE, p. 34), F. Balibar écrit aussitôt :

« II importe de bien comprendre que ce principe d'inertie est une conséquence logique du principe plus fondamental de relativité énoncé au paragraphe précédent... » (SPN)

Or, n'est-ce pas l'idée d'inertie qui vient en premier dans les Principia Mathematica de Newton avec la célèbre première loi du mouvement, alors que l'idée de relativité n'apparaît que sous la forme d'un corollaire, le corollaire VII (cf. De Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, traduction établie par Marie-Françoise Biarnais, Christian Bourgois Éditeur, 1985, p. 40 sq.) ? Y a-t-il donc subordination logique d'un principe par rapport à l'autre, mais alors dans quel sens ? Ou bien équivalence de deux idées dans une seule et même découverte ? Il faudrait alors comprendre le devenir historique de cette équivalence, sa différenciation après Galilée. Pour examiner cette question, nous reprendrons le fil conducteur déjà suivi, à savoir l'étude de F. Balibar. L'auteur y expose en effet des formulations des deux principes chez Galilée, Newton et Einstein (GNE, pp. 26-28 et pp. 33-34). Nous les avons rassemblées, en les complétant, sous la forme d'un tableau :

 

Principe de relativité

GALILÉE :

« Les papillons volent de-ci de-là de la même façon, que le navire soit au repos ou qu'il soit en mouvement uniforme. » (GNE, p. 28. F. Balibar résume ainsi l'expérience de la cabine.)

Nous pouvons ajouter ici la proposition galiléenne déjà citée :

SALV. : Par rapport à la Terre, à la tour et à nous, qui nous mouvons tous de conserve avec le mouvement diurne, en même temps que la pierre, le mouvement diurne est comme s'il n'était pas, il reste insensible, imperceptible, et n'a aucune action ; seul est observable pour nous le mouvement qui nous fait défaut, le mouvement de la pierre qui rase la tour en tombant... (D, p. 191)

NEWTON :

COROLLAIRE V

 

« Les mouvements des corps qui sont contenus dans un espace donné sont les mêmes, que cet espace soit au repos ou en mouvement rectiligne uniforme, sans mouve­ment circulaire.

Car les différences des mouvements de même sens et les sommes des mouvements contraires sont les mêmes, juste après le commencement du mouvement, dans les deux cas (par hypothèse) : et c'est de ces sommes et différences que viennent le choc et l’ « impetus » avec lesquels les corps se portent mutuellement l'un vers l'autre. Les effets des chocs seront donc égaux dans les deux cas, par la Loi II ; et par conséquent, les mouvements des corps entre eux dans un cas reste-

Principe de relativité

-ront égaux aux mouvements des corps entre eux dans l'autre. Ceci même est prouvé de manière éclatante par l'expérience. En effet, tous les mouvements s'effectuent dans un bateau de la même façon, que le bateau soit au repos ou qu'il se meuve uniformément en ligne droite. »

(« Axiomes ou Lois du mouvement », Principia Mathematica , corollaire V : op.cit., p. 50. Nous noterons désormais PM cette édition)

EINSTEIN :

« Des exemples du même genre [les asy­métries auxquelles conduisent l'électrodynamique de Maxwell comme dans l'exemple de l'interaction entre un aimant et un conducteur], ainsi que les vaines tentatives en vue de mettre en évidence un mouvement de la Terre relativement au « milieu lumineux », conduisent à conjecturer qu'au concept de repos absolu ne correspond aucune propriété des phénomènes, non seulement dans le domaine de la mécanique mais aussi dans celui de l'électrodynamique (...). Nous allons élever cette conjecture (dont le contenu sera dans la suite appelé « principe de relativité ») au rang de postulat (...) ». (« Sur l'électrodynamique des corps en mouvement », tome II des Œuvres choisies d'Albert Einstein, Éditions du Seuil, Éditions du CNRS, p. 31)

Ce principe est défini un peu plus loin au §2 de la partie cinématique :

« ... les lois selon lesquelles les états des systèmes physiques évoluent sont indépendantes du fait que ces évolutions soient rapportées à l'un ou l'autre de deux systèmes de coordonnées qui se trouvent être en mouvement de translation uniforme l'un relativement à l'autre. »

 

 

Principe d'inertie

GALILÉE :

SALV. : « Mais la pierre qui est au sommet du mât, emportée par le navire, ne se meut-elle pas, elle aussi, sur la circonférence d'un cercle autour du centre? Elle a donc en elle un mouvement indélébile, une fois supprimés les empê-chements externes. Et n'est-il pas aussi rapide que celui du navire ? » (D, p. 170)

On peut citer aussi le début de la remarque de Sagredo à propos d'un « phénomène merveilleux dans le mouvement des projectiles » :

SAGREDO : « S'il est vrai que l'élan du navire en mouvement reste imprimé de façon indélébile dans la pierre après qu'elle s'est séparée du mât, s'il est vrai aussi que ce mouvement n'empêche ni ne retarde le mouvement rectiligne vers le bas, qui est naturel à la pierre, il en découle nécessairement un effet merveilleux dans la nature... » (D, p. 176)

NEWTON :

LOI  I

« Tout corps persévère en son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme, sauf si des forces « imprimées » le contraignent d'en changer.

Les projectiles persévèrent en leurs mouvements, à moins d'être retardés par la résistance de l'air et poussés vers la Terre par la force de gravité. Une toupie dont la rotation empêche les parties d'effectuer des mouvements rectilignes, de par leur cohérence mutuelle, ne cesse de tourner que si l'air en retarde le mouvement. Les planètes

 

 

Principe d'inertie

et comètes qui ont une plus grande masse, conservent plus longtemps encore leurs mouvements progressifs et circulaires qui s'effectuent en des espaces moins résistants. (PM, p. 40, « Axiomes ou lois du mouvement »)

EINSTEIN :

Dans la mesure où le principe de relativité exprimé par Einstein en 1905 était « restreint » aux référentiels galiléens, i.e. les référentiels animés d'un mou-vement rectiligne et uniforme relati-vement à un corps de référence où le principe d'inertie (qu'Einstein appelle parfois « principe de Galilée ») soit vala-ble, la « relativité restreinte » plaçait la loi fondamentale de la mécanique classi-que à la première place, celle d'un axiome ou d'une supposition :

« Nous partions en premier lieu de la supposition qu'il existe un corps de référence dans un état de mouvement tel que, par rapport à lui, le principe de Galilée est valable : un point matériel abandonné à lui-même et suffisamment éloigné de tous les autres points effectue un mouvement rectiligne et uniforme. Relativement à K (corps de référence de Galilée), les lois de la nature doivent être aussi simples que possible. Mais en outre de K tous les corps de référence K' doivent être privilégiés dans ce sens et être tout à fait équivalents à K pour la formulation des lois de la nature, s'ils effectuent, relativement à K, un mouvement rectiligne, uniforme et exempt de rotation ; tous ces corps de référence sont considérés comme des corps de référence galiléens. C'est seulement pour ces corps de référence que fut admise la validité du principe de relativité, mais non pas pour les autres (qui effectuent des mouvements différents).

 

 

Principe d'inertie

 

C'est dans ce sens que nous parlons du principe de relativité restreinte ou de la Théorie de la relativité restreinte. » (La théorie de la relativité restreinte et générale, Petite Bibliothèque Payot, p. 73)

Dans ce même ouvrage, Einstein définissait ainsi le « principe de Galilée » :

« On sait que la loi fondamentale de la mécanique de Galilée-Newton, connue sous le nom de loi de l'inertie, est exprimée dans les termes suivants : un corps suffisamment éloigné d'autres corps persiste dans son état de repos ou de mouvement rectiligne et uniforme. » (ibid., p. 18)

                                           

 

 

 

De cette vue d'ensemble, on peut, dans un premier temps, tirer les remarques suivantes :

1   / Dans son mémoire de 1905, Einstein exprime la nécessité d'élever au rang de principe ce qui depuis les Principia apparaissait comme une conséquence logique, confirmée par l'expérience, de la fameuse première loi ou « lex inertiae » ; ce n'est qu'avec la théorie de la Relativité générale que le principe de relativité s'affranchira du principe d'inertie.

2   / Comme l'exprime Einstein lui-même, la tradition associe les noms de Galilée et de Newton à propos de la « loi fondamentale de la mécanique » ; or cela contribue à cacher la part qui revient à chacun et qui les distingue. Il se pourrait que la tradition soit un obstacle pour remonter à l'origine de « l'interprétation de la relativité ».

3 / Trois siècles après Galilée,  Einstein considère à nouveau des expériences - étendues à l'électrodynamiques des corps en mouvement -, qui se révèlent incapables de mettre en évidence le mouvement de la Terre. Rejoignant donc les considérations galiléennes du Dialogue, le mémoire de 1905 s'oppose, d'autre part, à la conception du « repos absolu » posée par Newton dans ses Principia.

 

 

 

Qu'en est-il donc du rapport originel entre principe de relativité et principe d'inertie ? Qu'est-ce qui distingue sur ce point Galilée de Newton ? La lecture des textes originaux, à condition de maintenir à l'écart le point de vue de la tradition, nous semble particulièrement éclairante : l'écart, le décalage logique entre relativité et inertie - la deuxième idée, tout au moins sa formulation newtonienne, prenant l'ascendant sur la première -, est absent du Dialogue. C'est une lecture rétrospective qui reconnaît chez Galilée l'expression naissante de la relativité et celle encore insuffisante - au regard de l'expression canonique de Newton - de l'idée d'inertie. Les deux idées sont en quelque sorte disjointes. En effet, ce qu'exprime cette deuxième journée du Dialogue, c'est la simplicité[1]d'une découverte que l'histoire, au double sens des événements historiques et de leur compréhension, a par la suite dissociée et peut-être « simplifiée ». C'est cette simplicité originelle que nous voulons ressaisir en allant contre une lecture « allant de soi », traditionnelle. Il est possible en effet de souligner chez Galilée ce qui relève du principe de relativité ou du principe d'inertie, mais notre démarche est inverse : nous voulons remonter à la simplicité du texte galiléen pour essayer de comprendre comment ensuite, au cours de son histoire, la physique en est venue à reconnaître un, puis deux principes, ou à traduire la découverte de Galilée en posant l'accent sur un aspect plutôt que l'autre.

Dans cette deuxième journée du Dialogue, le texte galiléen articule les deux aspects d'un même phénomène :

1  / Le point de vue interne au mouvement partagé, comme dans le cas de la pierre qui tombe : « Par rapport à la Terre, à la tour et à nous, qui nous mouvons tous de conserve avec le mouvement diurne, en même temps que la pierre, le mouvement diurne est comme s'il n'était pas... » ; ce qui exprime aux yeux d'un lecteur moderne, l'idée de relativité. Du point de vue des corps qui se meuvent de conserve avec le navire (ou la Terre), ce mouvement est « comme s'il n'était pas », et la pierre tombe du haut du mât (ou de la tour) comme si le navire (ou la Terre) était immobile.

2  / Le point de vue externe au mouvement partagé, celui des corps qui ne partagent pas ce mouvement comme par exemple le point de vue de la côte (ou d'un observatoire non terrestre) : la pierre lâchée du haut du mât (ou de la tour) conserve le mouvement du navire (de la Terre) ; « l'élan du navire en mouvement reste imprimé de façon indélébile dans la pierre après qu'elle s'est séparée du mât... »

 

A travers ce jeu sur le mot « conserve », réapparaît la simplicité d'un phénomène dans lequel se jouent deux aspects, relativité et inertie, sans que l'un des points de vue ne prenne la prédominance sur l'autre. Si l'on met l'accent sur le point de vue interne au mouvement partagé ou mouvement de conserve, c'est l'idée de relativité qui entre en jeu (« Enfermez- vous avec un ami dans la plus grande cabine sous le pont d'un grand navire... ») ; au contraire, c'est au tour de l'idée d'inertie quand on se place au point de vue externe au mouvement commun. Le mouvement de conserve est comme s'il n'était pas, inexistant et inopérant, mais il est, en même temps, ce qui d'un point de vue externe se conserve et manifeste ainsi une certaine existence. Il nous semble donc important de souligner ici, non pas l'imperfection de la formulation galiléenne du principe d'inertie par rapport aux formulations de Descartes et de Newton, mais l'équivalence originelle entre relativité et inertie ; équivalence, symétrie entre deux points de vue qui seront par la suite dissociés.

L'expérience de la cabine que Galilée présentait comme « sceau final » à la dé­monstration destinée à invalider les arguments que l'on opposait au mouvement de la Terre, exprime bien évidemment l'aspect relativiste de la nouvelle conception du mouvement, mais n'en demeure pourtant pas moins présent l'aspect inertiel ; il faut en effet se souvenir à la lecture de cette page, des passages qui l'ont précédée et qui montraient comment la pierre, et ainsi les gouttes qui tombent, les papillons qui volent de-ci de-là (...), conservent, comme imprimé en eux, l'élan du navire. Toutefois, il convient de remarquer que la démonstration galiléenne ne maintient pas tout à fait l'équivalence entre les deux aspects du mouvement que laissait présager la lecture de la définition initiale ; une différenciation logique apparaît dans le cours même de la démonstration qui, partant de la définition, conduit au « sceau final ». Implicitement, l'aspect inertiel - le mouvement qui « est mouvement et agit comme mouvement » - prend une place particulière dans cet ensemble d'arguments, celle de permettre de justifier ou de faire comprendre à Simplicio et au lecteur, la possibilité paradoxale du mouvement qui « est comme s'il n'était pas ». Si les gouttes, les papillons ou les poissons, suivent les mêmes courbes du point de vue du navire, que celui-ci soit immobile ou animé d'un mouvement uniforme, c'est parce qu'ils conservent imprimé en eux ce mouvement.

Implicite dans le Dialogue, cette différenciation entre aspects relativiste et inertiel est clairement exprimée dans l'écrit antérieur et préparatoire que constitue la lettre à Ingoli, où ce dernier aspect est présenté comme raison du premier :

« Installez-vous avec quelques amis dans la plus grande salle qui existe sous le pont de quelque grand bateau, et faites en sorte d'avoir là des mouches, des papillons et de semblables petits animaux volants. Prenez aussi un grand vase contenant de l'eau et de petits poissons. Placez enfin en hauteur quelque récipient pour que son contenu tombe, goutte à goutte, dans un récipient à goulot étroit placé plus bas. Alors que l'embarcation est immobile, observez avec attention comment tous ces petits animaux volants se dirigent à la même vitesse vers tous les côtés de la pièce ; vous verrez les poissons nager indifféremment vers n'importe lequel des bords du récipient, les gouttes qui tombent entreront toutes dans le récipient qui est posé en dessous... Une fois que vous aurez observé toutes ces choses, vous ferez avancer le bateau à la vitesse que vous voudrez ; alors (à condition que le mouvement soit uniforme et que le bateau ne tangue pas) vous ne remarquerez pas le moindre changement dans tout ce que nous avons cité. Et vous ne pourrez même pas vous assurer que le bateau bouge ou est arrêté d'après vos propres impressions. Et si vous me demandez la raison de tout cela je vous répondrai maintenant : c'est parce que au mouvement d'ensemble du navire participent l'air et toutes les choses que le navire contient, et que ce mouvement, n'étant pas contraire à l'inclination naturelle de ces choses, se conserve exactement en elles. Ailleurs, je vous en proposerai des explications particulières et détaillées. (SPN, Galilée, Ludovico Geymonat, Éditions du Seuil, 1992, p. 165)

Giordano Bruno avait lui aussi décrit dans La Cena de le Ceneri (1584) cette expé­rience de la pierre pour illustrer comment toutes les choses qui se trouvent sur la Terre accompagnent son mouvement :

« Toutes les choses qui se trouvent sur la Terre se meuvent avec la Terre. La pierre jetée de la hune reviendra en bas de quelque façon que le navire se meuve. » (cité par M.A. Tonnelat dans son Histoire du principe de relativité, op.cit, p.  30)

 

Comme Galilée après lui, Bruno avait invoqué comme seule raison possible de ce phénomène, une « vertu imprimée » dans la pierre :

(Imaginons deux hommes, le premier lié à un navire en marche, le second immobile sur la rive. A un instant donné, ils ont) « leurs mains en un même point de l'air. Ils laissent alors, l'un et l'autre, tomber une pierre sans lui donner aucun élan : la pierre lâchée par le premier tombera à la verticale. Au contraire, abandonnée par le second, elle tombera vers l'arrière. Ce qui ne provient de rien d'autre que de ce que la pierre qui part de la main de celui qui est porté par le navire, et par conséquent se meut selon le mouvement de celui-ci, possède une certaine vertu imprimée que ne possède pas l'autre. » (...) « De cette diversité nous ne pouvons donner aucune raison, sinon que les choses qui sont rattachées au navire se meuvent avec celui-ci ; et que l'une des pierres porte avec elle la vertu du moteur, tandis que l'autre n'y a pas participation. D'où l'on voit très clairement que la pierre ne reçoit la vertu d'aller en droite ligne, ni du point dont elle part, ni du point où elle va [allusion à la conception aristotélicienne du mouvement déterminé par le lieu], mais de l'efficace de la vertu qui lui fut imprimée. » (ibid., p. 38)

Galilée reprend donc l'expérience imaginée par G. Bruno, mais il l'exprime et la développe dans un sens qu'il nous faut éclairer davantage si nous voulons comprendre l'interprétation qu'en donna par la suite la physique classique. Nous posions la question du rapport entre relativité et inertie : peut-on conférer à l'une de ces notions le titre de « principe » ? Ce rapport est-il celui d'une subordination logique ? Il nous est apparu que pour répondre à cette question, il fallait considérer l'histoire, ou la généalogie de ce rapport. Si Newton peut donner à la seconde le titre de « principe », ou plus précisément de « première loi du mouvement », faisant ainsi pâlir l'éclat de l'autre ; si au contraire, Einstein peut restaurer celle-ci, de façon restreinte d'abord, puis générale, en reformulant de façon conjointe les lois du mouvement et de la gravita­tion, c'est parce que nous sommes en présence, à propos de cette question, d'une équi­valence, d'un rapport simple où le mot doit être entendu dans le sens de perspective.

Ce rapport simple unissant relativité et inertie et, en même temps, l'amorce de leur différenciation, se trouve exprimé dans cette deuxième journée du Dialogue ; à travers la dualité des perspectives sur le mouvement, selon qu'on le rapporte aux corps qui le partagent ou à ceux qui ne le partagent pas, se joue l'équivalence des aspects relativiste et inertiel, le second prenant cependant une sorte de primauté logique que Newton accentuera en fondant sur lui la première loi de la mécanique classique. Aussi nous semble-t-il faux de dire que Galilée a découvert, ou n'a pas découvert, le principe de relativité, ou le principe d'inertie ; si l'on veut conserver à Galilée le mérite d'avoir découvert un principe, c'est non pas d'avoir découvert celui de la relativité ou de l'inertie, mais celui de leur équivalence que nous essayons de cerner par le terme de perspectivité.

Ce terme prend ici une nouvelle détermination ; il n'évoque plus seulement l'ori­ginalité de l'appréhension moderne du mouvement par rapport à une certaine tradition philosophique héritée d'Aristote - le physicien rapportant le mouvement, à une « fenêtre » comme le peintre de la Renaissance le faisait de son sujet - mais aussi par rapport à la tradition qui, s'autorisant de Newton, instaurera la primauté de l'idée d'inertie - et avec elle, celle d'effet ou d'opération - sur celles de relativité et d'invariance. La perspectivité dont il nous faut maintenant examiner le devenir chez Newton, comprend en elle-même la relation particulière entre les deux perspectives du mouve­ment, relation pouvant être définie comme la symétrie ou l’équivalence entre aspect relativiste et aspect inertiel, et qui était déjà contenue dans la définition initiale et originale de Galilée associant avec le rispetto a, le mouvement qui « est mouvement et agit comme mouve­ment » au mouvement qui « est comme s'il n'était pas ».



[1] Ce terme ne signifie pas que nous soyons en présence de quelque chose d'univoque, d'évident au premier regard, ou « allant de soi » ; au contraire, cette simplicité comprend en elle-même, dans un sens qu'il s'agira d'expliciter, quelque chose d'équivoque ou de complexe qui a pu être compris comme duplicité.

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