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13 avril 2013 6 13 /04 /avril /2013 08:50

DUREE OU SIMULTANEITE. Comment accorder les perspectives de Bergson et Einstein, ou comment le paradoxe des jumeaux peut en cacher un autre

 

 

 

En prenant la parole, je prends conscience d’une double difficulté qui me paraît insurmontable, seul. La première est de devoir contracter en quelques minutes une étude qui s’est développée, ou contée, sur une vingtaine d’années. Un rapide compte, ou calcul, m’a montré en effet, qu’il me faudrait avoir pour cela une nature quasi lumineuse. Cette difficulté matériellement insurmontable, peut cependant se transformer en tension, ou se retourner en élan. La deuxième est peut-être la plus périlleuse : il me faut devant vous, être mon propre interprète. Or, sans être, tout au moins je l’espère, un philosophe amateur, je ne suis pas non plus un philosophe de profession. Je compte donc sur vous pour que vous m’aidiez à surmonter, par votre attention, cette double difficulté. D’avance je vous en remercie.

Je remercie également Messieurs Elie During et Frédéric Worms qui m’ont invité à ce colloque. L’intérêt qu’ils ont porté à mon parcours, a été le plus grand des encouragements à sortir de mon silence, ou plutôt comme je le montrerai, à venir le partager. Je forme le souhait que les paroles qui vont suivre, soient ainsi que le suggèrent les mots jumeaux denken et danken mais aussi to think et to thank, à la hauteur de ce présent.

Je remercie enfin l’Ecole normale supérieure qui m’accueille dans un lieu des plus prestigieux et des plus symboliques pour moi puisqu’il reçut en 1878 le jeune Henri Bergson. Le temps est chose étrange et se plaît naturellement dans son cours à donner le change, à doubler chaque être d’un présent qui l’éloigne toujours un peu plus de son commencement ; il se plaît aussi parfois à de surprenants retours dans l’espace comme ces éclipses partielles ou totales qu’il permet d’observer. Bien des choses se sont passées depuis le moment où Bergson entrait à l’Ecole normale supérieure. La philosophie de la durée s’est constituée en quelques années, a connu ensuite une grande notoriété avant de sembler perdre son éclat, et se voir en quelque sorte éclipsée par d’autres. Je voudrais montrer que ce qui mobilisa la philosophie de la durée dans les dernières années du XIXème siècle, en son commencement, continue de vivre aujourd’hui. Je le ferai sur un point précis, là où justement la précision du philosophe – cette qualité par excellence que Bergson reconnaissait à la science et recherchait pour la métaphysique - s’est transformée en problème, voire en échec, à savoir l’interprétation de la Relativité. A cette fin, on peut concevoir une expérience par la pensée d’un genre particulier ; imaginons, en effet, le jeune normalien entrant en cette école et son double qui aurait pu continuer de vivre après sa mort, parcourir l’espace de temps qui s’est écoulé depuis et revenir en ce même point de l’espace aujourd’hui. La philosophie de la durée aurait sans doute changé mais à la manière des pensées véritables, c’est-à-dire véritablement fécondes : en se transformant et en durant, en évoluant de manière créatrice, elle apparaîtrait, aujourd’hui et en ce lieu, toujours aussi jeune ; mieux, je voudrais montrer qu’elle apparaîtrait plus jeune relativement à ce qui, entre temps, n’a su que vieillir.

Afin de donner sens à cette expérience par la pensée, on peut évoquer un mythe grec et citer quelques lignes qui ne sont ni d’un philosophe ni d’un physicien, mais d’un artiste ; c’est-à-dire d’un homme qui est peut-être le mieux à même d’indiquer un passage, ou un gué, entre ces deux rives de la connaissance de la nature - la phusis - que constituent la philosophie et la science. L’artiste en question est André Gide qui écrivait en 1890 Le Traité du Narcisse, ou Traité du symbole, texte dédié à Paul Valéry et qui se situe, comme nous le verrons, quelque part entre L’Essai sur les données immédiates de la conscience de 1889 et le mémoire Sur l’électrodynamique des corps en mouvement de 1905. Ce mythe laisse entrevoir le lien puissant permettant de mêler sans confondre les intuitions de Bergson et d’Einstein, comme deux points de vue relatifs de part et d’autre d’un même problème, comme deux points de vue de part et d’autre d’un même fleuve.

 

« Au bord du fleuve du temps, Narcisse s’est arrêté… » Il est seul, préférant sa solitude et son être ; pourtant il s’ennuie. Le fleuve lui présente son écho imagé, son double et comme son jumeau digne d’être aimé ; il s’en éprend et se perd au change... C’est l’occasion pour l’artiste d’interpréter dans une note ajoutée à son texte une théorie du symbole et de la vérité digne de réflexion avant d’aborder les rivages de la Relativité :

 

« Les vérités demeurent derrière les Formes – Symboles. Tout phénomène est le symbole d’une vérité. Son seul devoir est qu’il la manifeste. Son seul péché : qu’il se préfère.

Nous vivons pour manifester. Les règles de la morale et de l’esthétique sont les mêmes : toute œuvre qui ne manifeste pas est inutile et par cela même, mauvaise. Tout homme qui ne manifeste pas est inutile est mauvais. (En s’élevant un peu, l’on verrait pourtant que tous manifestent – mais on ne doit le reconnaître qu’après.)

Tout représentant de l’Idée tend à se préférer à l’Idée qu’il manifeste. Se préférer – voilà la faute. L’artiste, le savant, ne doit pas se préférer à la Vérité qu’ils veulent montrer : je dirais presque, que c’est là toute l’esthétique.

Et je ne prétends pas que cette théorie soit nouvelle ; les doctrines de renoncement ne prêchent pas autre chose.

La question morale pour l’artiste, n’est pas que l’Idée qu’il manifeste soit plus ou moins morale et utile au grand nombre ; la question est qu’il la manifeste bien. – Car tout doit être manifesté, même les plus funestes choses : « Malheur à celui par qui le scandale arrive », mais « Il faut que le scandale arrive ». – L’artiste et l’homme vraiment homme, qui vit pour quelque chose, doit avoir d’avance fait le sacrifice de soi-même. Toute sa vie n’est qu’un acheminement vers cela.

Et maintenant que manifester ? – On apprend cela dans le silence. »

 

 

Il est peut être un mot qui conviendrait à ce silence ; il s’agit du mot étonnement. Car philosophe et physicien, même s’ils ne partagent plus le même nom, ont toujours partagé et continuent de partager ce pouvoir d’étonnement. Plus particulièrement, il m’a toujours semblé que quelque chose pouvait et devait maintenir ensemble ces deux étonnements : celui d’Einstein s’imaginant voyager à la vitesse de la lumière et rattraper, non seulement l’onde lumineuse, mais aussi son image dans le miroir ; celui de Bergson devant le décalage entre ce moi véritable, vivant en durée au plus profond de chacun de nous et ce double travesti dans le miroir de l’espace. L’une et l’autre intuition ne sont peut-être pas aussi distinctes et séparées que ces figures que l’histoire allait figer dans une opposition apparemment définitive. Afin d’examiner ce point, il nous faut nous approcher d’un phénomène sur lequel philosophe et physicien puissent ensemble se pencher et s’étonner.

 

Ce phénomène se produisit sur cette ligne où se rencontrent philosophie et science en général, et où se rencontrèrent en particulier Bergson et Einstein. Or, que ce soit lors de la réunion de la Société de Philosophie du 6 avril 1922, ou bien au sujet du livre Durée et simultanéité paru la même année, leur rencontre tourna court. Doit-on attribuer la raison de cet échec à l’un plutôt qu’à l’autre, ou bien aux deux à la fois ? Le temps a coulé depuis, laissant en arrière cette occasion manquée d’un échange ou d’un passage. Les choses ont changé aussi : la physique a dû réviser ses concepts fondamentaux et surtout, elle a dû suivre avec la mécanique quantique, ne serait-ce que partiellement, l’exemple d’une certaine métaphysique et revoir à la baisse cet idéal d’une vérité absolue et intégralement accessible qui était encore celui d’Einstein. Aujourd’hui, ces deux côtés, ou ces deux rives, ne sont peut-être plus aussi éloignés qu’ils l’étaient ce jour-là ; il nous faut examiner à nouveau le problème du temps, les raisons ayant conduit à un dialogue manqué dans lequel chacun parlait apparemment à l’autre mais sans rien lui dire.

Il est possible en effet que l’un et l’autre, s’ils partagent et divisent le même étonnement, partagent également la raison de leur mésentente. Bergson, d’une part, s’est montré sourd à un phénomène qui avait suscité peu avant 1900 l’étonnement créateur du physicien, à savoir la question de la simultanéité reposant sur le rapport – compris depuis Newton comme séparation – entre espace et temps. Cette séparation entre deux entités jugées de manière parallèle jusqu’alors, s’est vue progressivement contrainte à répéter l’exemple déjà suivi par les forces électriques et magnétiques et à prendre, sous les coups de Lorentz, Poincaré et Einstein, la forme d’une unité nouvelle que Minkowski baptisa en 1908 « espace-temps ». Einstein, d’autre part, s’est montré sourd à ce qui avait provoqué l’étonnement du philosophe. Cet étonnement inaugural qui fut le point de départ de Bergson dès les années 1880, eut pour objet justement la manière dont la science, la physique en particulier, abordait alors le temps et l’espace, et manquait leur rapport : le temps véritable, le temps qui dure et dont nous éprouvons la profondeur dans le cours de notre vie, n’est pas pris en compte dans les formules de la physique ou dans les prévisions de la science ; le rapport entre l’espace et le temps tel qu’il est toujours déjà compris dans la vie de ceux qui se croient éveillés et que la science explicite, ne fait que recouvrir le temps sous l’espace, le temps sous son ombre. Ce fut alors la grande affaire du philosophe, qui y consacra désormais tous ses efforts et toute son œuvre, de démêler cet amalgame trompeur de l’espace et du temps parallèles depuis Newton, de les détacher pour aborder enfin le temps vrai, ou durée, hors de l’espace.

Comment ne pas s’étonner du parallélisme de ces deux étonnements, de la simultanéité de leur genèse, et enfin de leur décalage si flagrant ce 6 avril 1922. Une autre question s’impose alors : et si, justement, ce décalage n’était que le redoublement ou la réplique, de celui dont la Relativité rend compte en coordonnant les mesures prises d’un référentiel au repos avec celles d’un autre référentiel mobile ? Il s’agirait dans ce cas d’examiner non plus, comme Bergson, la proposition relativiste selon laquelle ce qui est simultané dans S ne l’est pas dans S’, et réciproquement, mais cette autre proposition, et comme son double : ce qui est simultané du point de vue du physicien ne l’est pas du point de vue du philosophe, et réciproquement. Quel principe ou quelle idée expliquerait, ou déduirait, alors, comme la Relativité pour le mobile et son double au repos, la nécessité du décalage entre physique et philosophie ? Tel est l’enjeu de ce que j’appellerais, pour rendre hommage à Gilles Châtelet, « l’enjeu du mobile ». On peut se demander en particulier pourquoi le parallélisme newtonien de l’espace et du temps a suscité ces deux étonnements parallèles et apparemment inconciliables. Mais le sont-ils vraiment ? Il nous faut peut-être comme en un point où il s’agirait de faire un nœud pour attacher deux fils, entrelacer aujourd’hui ces deux étonnements en un seul. Il s’agirait alors de revenir en amont du problème, et de reconsidérer dans une perspective historique, voire archéologique, le parallélisme classique de l’espace et du temps ayant suscité simultanément, et sur la question de la simultanéité, l’étonnement du philosophe et du physicien.

Si un tel parallélisme est une manière désormais dépassée de voir les choses – point sur lequel philosophe et physicien peuvent, semble-t-il, s’entendre aujourd’hui – il est nécessaire d’aller plus loin encore et de considérer l’espace et le temps hors de tout parallélisme implicite ou tacite. L’espace et le temps ne doivent plus être abordés de deux côtés différents apparemment aussi nécessaires que naturels : qu’on les considère comme deux fils qui s’enroulent parfaitement l’un sur l’autre pour ne plus former désormais qu’une seule entité véritable baptisée « espace-temps », ou que l’on cherche au contraire à les démêler dans le double sens de la durée et de l’espace, il s’agit peut-être là de positions qui s’opposent et se confondent si bien l’une l’autre parce qu’elles reposent de manière incomplète ou partielle sur un accord premier qui les fondent et qu’il nous faut rechercher.

Car philosophe et physicien disent au fond la même chose mais en l’accentuant de manière opposée – ici sur le Même, là sur l’Autre - ; ils énoncent par conséquent des discours qui se contredisent moins en vérité que parce qu’ils sont sourds ou aveugles à un phénomène abordé de manière partielle et partiale. Cette double accentuation ne peut que conduire à l’impasse ou au silence ; philosophe et physicien se condamnent en restant chacun sur leur ligne, ou sur leur rive, à ne pas s’entendre et à se parler pour ne rien se dire.

Essayons au contraire de renouer les deux fils qui attachent depuis leur origine physique et métaphysique, rejetons complètement – c’est-à-dire en respectant ce que chaque approche a de spécifique - le parallélisme de l’espace et du temps pour en croiser les fils. L’espace-temps du physicien prendrait alors une toute autre allure. Il ne s’agirait plus de deux fils qui s’enroulent l’un sur l’autre et se recouvrent au sein d’un nouvel absolu – espace-temps  ou durée –, un absolu qu’il faudrait soigneusement distinguer de toute forme incomplète, relative. Pour utiliser une image quelque peu imprécise mais qui n’est au fond que l’indication d’un point situé à l’horizon, ce serait plutôt comme le miroir ou l’étoffe même de notre conscience qu’espace et temps tisseraient dans une complémentarité constitutive. Cette direction de recherche permettrait de renouer le fil d’un dialogue véritable entre physique et métaphysique : l’unité de l’espace-temps ne viendrait plus en effet contredire l’intuition première de Bergson si l’on prenait soin de reconnaître comment espace et temps, mais aussi physique et philosophie peuvent, parce qu’ils ont une seule et même filiation, fonder, sans se confondre, une unité de dimension supérieure.

On pourrait aussi comprendre comment la double surdité en question a été engendrée par un parallélisme insuffisamment critiqué. En voulant parler au nom du phénomène qu’ils invoquaient – le sens et la nouveauté de la théorie de la Relativité -, le philosophe et le physicien ont été sourds à l’originalité que l’autre témoignait, il est vrai partiellement ; plus grave encore, le langage qu’ils employaient l’un comme l’autre a manqué le phénomène qui les portait l’un et l’autre. En employant la même terminologie – l’opposition du relatif et de l’absolu ainsi que l’idée corrélative de la perspective commune donnant lieu à des variations selon l’éloignement ou selon la parallaxe – ils ont parlé au fond le langage d’une même Philosophie qu’il nous faut désormais remettre en question.

Car il y a un secret qui est comme un trésor caché au fond de cet affrontement historique, et si l’effort de Bergson prit pour certains l’allure d’un naufrage, il s’agit moins d’un événement réel que du sens que lui donna une certaine interprétation de la relativité - au sens général -, une certaine Philosophie. C’est au contraire le devoir de la pensée de ne pas en rester là aujourd’hui ; l’enjeu en est, ni plus ni moins, que le lien originel qui attache physique et métaphysique au sein d’une même recherche ou enquête sur la nature. En méconnaissant ce lien ou en voulant le rompre au nom d’une certaine image qu’elle se fait d’elle-même, l’une comme l’autre risquent de manquer la part constitutive de son double, et de se perdre au change.

Comme dans toute recherche de la vérité – je pense à celles de l’archéologue, du scientifique et du philosophe mais aussi à celle de l’artiste étudiée par Gilles Deleuze dans Proust et les signes -, la clé du mystère se trouve dans le rapprochement de deux éléments accidentellement séparés mais essentiellement unis, deux éléments jetés ensemble, comme les symboles d’une unité perdue ou oubliée ; un seul de ces éléments ne peut y conduire, chacun n’a pas plus de valeur que son double car seule compte la réunion des deux. Ces deux éléments sont la physique d’une part, l’ancienne « philosophie naturelle » en tant que recherche d’une transcription mathématique, comme dit Galilée, du « livre de la nature », la philosophie proprement dite, d’autre part, en tant que recherche des principes et de l’interprétation d’une telle transcription. Ces deux recherches qui, depuis la naissance de la Philosophie en Grèce et avant la primauté méthodologique accordée aux mathématiques au XVIIème siècle, étaient unies en une même personne se sont vues progressivement séparées en des personnes distinctes suivant des voies parallèles et ne parlant plus tout à fait la même langue. Comme si le fleuve de la connaissance devenant toujours plus large en éloignait inexorablement les deux rives qui, à son origine pourtant, ou à sa naissance, étaient réunies en un même point source.

Il me semble que cette séparation s’est effectivement réalisée au début du XVIIème siècle, dans cette tension que l’on voit apparaître alors entre Galilée et Descartes, et si ce n’est chez le seul Descartes, tout au moins sous son impulsion. Comme si Descartes voyant dans le procès à propos du Dialogue de Galilée, le danger qu’il y avait à vouloir encore mêler des questions de physique et de métaphysique, avait voulu par précaution couper tous les ponts qu’entretenait l’ancienne Philosophie et rendre désormais autonome la recherche du savant en lui fournissant, « par provision », dans une métaphysique minimale, les principes nécessaires et suffisants à sa recherche. Quelque chose s’est dénoué ici et n’a cessé de filer depuis. Même si la philosophie naturelle des tourbillons n’a pu très longtemps se maintenir du côté de la science, quelque chose de pernicieux et de non dit, en est resté des principes métaphysiques. Cela a donné lieu au partage entre la physique d’une part, la physique classique que Newton fonda contre, mais aussi avec Descartes, dans les Philosophiae naturalis principia mathematica, la philosophie d’autre part, avec cet état des lieux réfléchi par Kant dans la Critique de la raison pure. Or, nous retrouvons ici et là ce même fil conducteur, ce même fleuve avec ces deux rives inséparables et parallèles de l’espace et du temps. Il nous faut comme Bergson l’avait à sa manière ressenti et pressenti, revivifié le partage cartésien entre res extensa et res cogitans. Cela demande que l’on redresse, pour reprendre les termes employés en 1922 dans La pensée et le mouvant, quelque chose non seulement dans notre science, ou dans notre métaphysique, mais dans les deux. Rapprochons en effet ces deux voies et ces deux méthodes de la Philosophie historiquement séparées, renouons-en avec l’espace et le temps les deux côtés dans un même et seul étonnement. Physique et métaphysique, science et philosophie, peuvent alors s’entendre en reconnaissant le même courant qui les porte et les traverse, le même désir de savoir qui les unit et les comprend. Le secret de cet affrontement stérile et de la réconciliation, gît alors d’une manière tellement évidente qu’elle paraîtra triviale, dans le dialogue véritable entre ces deux côtés, un dialogue finalement de la pensée avec elle-même dans une unité jamais totalement réalisée et toujours à rechercher. Loin d’être trivial, ce secret demande au contraire la tension la plus forte, le plus grand écart ; il suppose que de chaque côté on fasse respectueusement une place vide et bienveillante à la parole, au paradoxe, de l’autre ; il demande que chacun soit attentif à, si j’ose dire, son « jumeau en Philosophie », en faisant l’effort de l’entendre et, pour un temps du moins, de ne rien dire. Ce passage d’une rive à l’autre est une traversée des apparences qui nécessite la plus grande vigilance : comme pour les trains en effet, il se pourrait qu’un paradoxe en cache un autre. Examinons donc la raison pour laquelle Bergson et Einstein ne pouvaient s’entendre ce jour-là, raison pour laquelle cependant nous pourrons peut-être entrevoir la possibilité d’accorder les perspectives auxquelles ils tenaient tant, en passant de l’une à l’autre.

 

*

 

Invité en France pour une série de conférences sous la haute autorité de Langevin, Einstein présente le 6 avril 1922 sa théorie devant la Société de Philosophie. Bergson est dans l’assistance puis prend la parole en commençant par ces mots :

 

« J’étais venu ici pour écouter. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole. Mais je cède à l’aimable insistance de la Société de Philosophie. »

 

Ce qu’il propose ce 6 avril est refusé par Einstein dans une réponse si concise qu’elle en est cinglante. Einstein résume la discussion : « La question se pose donc ainsi : le temps du philosophe est-il le même que celui du physicien ? » Ce qui revient à se demander si l’un et l’autre parlent bien de la même chose, condition essentielle – reconnaissons-le - pour qu’il y discussion ou dialogue. Ayant bien écouté Bergson, Einstein évoque le temps de la conscience d’où dérivent, d’une part le temps psychologique et l’entente commune à propos de la simultanéité des perceptions, d’autre part le temps physique et les constructions mentales de la science à propos de la simultanéité des événements. Or pour Einstein, un hiatus est apparu entre le temps psychologique et le temps de la physique lorsque les constructions mentales de la science ont dû prendre en compte la vitesse de la lumière. La théorie de la Relativité a fait apparaître entre le temps psychologique et le temps physique une différence de nature jusqu’alors masquée par une différence de degré, la vitesse de la lumière étant sans commune mesure par rapport aux mouvements de notre expérience ordinaire. Là où l’instinct passe abusivement de la simultanéité des perceptions à la simultanéité des événements, Einstein oppose le veto du physicien : il s’agit précisément là du sens physique de la critique qui introduit à sa théorie. Et, y tenant comme à quelque chose de ferme et d’assuré, il refuse au philosophe le droit de suivre ce qu’il appelle « instinct » en voulant établir la continuité entre le temps de la physique et le temps psychologique, ou en voulant - pour reprendre la formule que Merleau-Ponty emploiera dans sa défense de Bergson -, « désamorcer l’apparence paradoxale de sa théorie et la réconcilier avec les hommes simplement hommes » (Signes, « Einstein et la crise de la raison »). Il faut, selon Einstein, trancher. Et sa parole sonne ici comme un jugement d’autorité sans appel, celui d’un général de retour de campagne qui montrerait sur sa carte d’état major la nouvelle frontière séparant désormais les deux camps : le temps du philosophe est un amalgame illégitime entre le temps psychologique et le temps du physicien, entre la simultanéité immédiate de la conscience et la simultanéité des événements ; « ceux-ci, déclare-t-il, ne sont que des constructions mentales, des êtres logiques. Il n’y a donc pas un temps des philosophes ; il n’y a qu’un temps psychologique différent du temps du physicien. »

Il n’y eut donc pas ce jour-là de discussion entre le philosophe et le physicien ; mais ce qui est plus grave, c’est que toute discussion s’est vue condamnée par Einstein en la personne même du philosophe, quand tout au moins celui-ci croit pouvoir s’octroyer le droit de passer la frontière du temps ou de franchir le gué : la philosophie n’a, après celle-ci, plus rien à dire, ou en tout cas plus rien d’autre à dire. Si bien que le hiatus mis en avant par Einstein, entre la simultanéité des perceptions (ou simultanéité intuitive), et la simultanéité des événements (ou simultanéité relativiste), dessina ce 6 avril et jusqu’à aujourd’hui encore, la frontière, la ligne de démarcation, séparant à propos de la Relativité, physique et philosophie, et défendant désormais toute intrusion illégitime d’un côté comme de l’autre.

Si Einstein coupa court à toute discussion avec Bergson, le condamnant même au silence, il faut reconnaître aussi que Bergson n’avait rien à dire à Einstein. Il faut prendre Bergson au mot quand il déclare qu’il n’avait pas réellement l’intention de prendre la parole ; il n’avait, plus exactement, plus rien à dire à Einstein. Il avait déjà tout dit, ou plutôt écrit, à cet Einstein représenté, à ce double que l’on trouve au fil des pages de Durée et simultanéité. L’argumentation qu’il esquissa ce jour-là ne réduisait-elle pas, en effet, dès le départ le physicien dans un rôle pour ainsi dire négatif, ou secondaire, en lui présentant son image comme dans un miroir ? A travers cette échec de la discussion, la faute ne serait pas alors à mettre de manière aussi simple ou unilatérale, comme le prétendait Merleau-Ponty, sur le compte d’Einstein dans la mesure ou celui-ci « gardait l’idéal classique et revendiquait pour la physique la valeur non d’une expression mathématique et d’un langage, mais d’une annotation directe du réel » ; elle ne serait pas non plus à mettre simplement, comme je voudrais le montrer, sur le compte du philosophe. C’est pourquoi ce que dit Bergson ce jour-là mérite que l’on s’y attarde afin de mettre fin à propos de l’espace-temps à un récurrent et stérile règlement de comptes et de poser aujourd’hui les fondations d’un dialogue durable et véritable.

 

Dans son intervention, Bergson évoqua l’intention générale de son essai : se faire l’avocat du sens commun et prendre philosophiquement la défense du temps unique de manière à le réconcilier avec le temps du physicien. C’était là en réalité le fond même de la question qui suscita si fortement l’intérêt du philosophe à partir du Congrès international de philosophie de Bologne en 1911, congrès au cours duquel Langevin présenta la théorie d’Einstein et en particulier ce qui allait désormais s’appeler le « paradoxe du voyageur de Langevin », ou « paradoxe des jumeaux ». Il s’agit de la question des temps multiples qui s’écoulent différemment selon les référentiels et s’entr’expriment selon les nouvelles lois de covariance de Lorentz-Poincaré. Alors que dans Durée et simultanéité, il défendra la thèse de l’unité du temps vécu et le caractère artificiel et symbolique, voire illusoire - si on n’y prête attention -, de la multiplicité des temps calculés, Bergson ne fait qu’évoquer le 6 avril 1922 l’étude minutieuse qu’il a entreprise et la possibilité de réconcilier les points de vue du sens commun et de la théorie. Il va cependant aborder devant Einstein cette question par le biais de la simultanéité. Il nous faut nous rappeler d’abord l’analyse physique de cette notion pour mieux entendre la critique que Bergson lui oppose.

 

Quel sens donné à la proposition : les événements A, B, C, etc… sont, ou ne sont pas, simultanés ? Plantons le décor devenu classique de la voie ferrée et imaginons comme Einstein des éclairs produits en des endroits différents. Rajoutons pour rendre la scène plus vivante quelques petits personnages qui attendent le train, ou pour faire plus moderne, transformons ce décor en imaginant que nos voyageurs attendent la navette spatiale qui doit les emmener, à une vitesse proche de celle de la lumière, à l’autre bout du système solaire. Qu’un orage – en tant que complexe spatio-temporel d’événements - vienne à se produire, les voyageurs s’entendront d’une manière non équivoque sur la simultanéité, ou non, des éclairs. Mais qu’en serait-il si ceux-ci étaient produits en des lieux ou des points très distants l’un de l’autre, par exemple des illuminations instantanées provenant de deux étoiles ou de deux navettes voyageant dans le système solaire ? Le physicien a ici sujet à réflexion depuis qu’il sait que la lumière est un phénomène électromagnétique non instantané, et cette réflexion se transforme en étonnement si de plus il imagine comme Einstein un voyageur qui voudrait rattraper un rayon lumineux et, par conséquent, son double de lumière. Qu’en est-il, en effet, de la simultanéité des deux éclairs pour les personnes immobiles et pour les personnes qui se déplacent ? Une telle question ne s’était jusqu’alors jamais posée et n’avait pas lieu de l’être : lorsque Galilée ou Newton considéraient le temps à propos de référentiels en mouvement relatif, ils avaient en vue l’expérience du navire se déplaçant par rapport à la côte, non celle qu’envisage Einstein à l’aube du XXème siècle. Que l’on ne s’y trompe pas : la transformation ne porte pas simplement sur une différence de degré ou la substitution d’un décor plus moderne intégrant les derniers progrès en matière de technique ou de transport ; elle porte sur une différence de nature. Le personnage embarqué sur le navire et celui resté sur la côte pouvaient continuer à se parler, mais surtout, ils continuaient à partager le même temps, aucun décalage n’était envisageable entre l’événement qu’ils considéraient l’un et l’autre et le temps que chacun mesurait. Alors que la théorie de Newton établissait en matière d’espace et de mouvement une différence entre la perception, ou la mesure, relative à un certain point de vue et la réalité objective ou absolue, le temps restait en dehors de cette mise en perspective et en constituait le fond invariable et invisible en tant que tel : si le navire peut être dit équivoquement, selon le point de vue, mobile ou au repos, si l’espace par rapport auquel on réfère le mouvement du mât est relatif, le temps s’écoule de la même manière selon tous les points de vue ; il est le substrat absolu, ou le faisceau de lignes de fuite, qui les retient et les coordonne dans une théorie relativiste, ou théorie des points de vue, particulière en cela qu’elle ne se donne aucun horizon, aucune contrainte de conversion. Comme l’exprima Einstein devant Bergson :

 

« Primitivement les individus ont la notion de la simultanéité de perception ; ils purent alors s’entendre entre eux et convenir de quelque chose sur ce qu’ils percevaient ; c’était là une première étape vers la réalité objective. Mais il y a des événements objectifs indépendants des individus et, de la simultanéité des perceptions, on est passé à celle des événements eux-mêmes. Et, en fait, cette simultanéité n’a pendant longtemps conduit à aucune contradiction à cause de la grande vitesse de la lumière. »

 

Mais qu’en est-il justement si on envisage désormais des personnages qui voyagent à une vitesse voisine de celle de la lumière ? On peut certes toujours imaginer que ceux-ci parlent avec ceux restés sur Terre, mais ils ne le font plus de manière aussi immédiate qu’au temps de la marine à voile ; ils doivent, en connaissance de cause, échanger leurs informations dans un certain temps et selon une vitesse qui est désormais du même ordre que la vitesse de leurs déplacements. Pour Newton ce temps ne pouvait entrer en ligne de compte contrairement à la relativité du mouvement et de l’espace ; indépendant du référentiel envisagé – le navire ou la côte – le temps échappait à la relativité des mesures de distance, et figurait en quelque sorte cet étalon absolu qui, comme l’or, constitue le garant invariant et inaltérable de la variabilité des échanges. La situation a complètement changée à la fin du XIXème siècle. La question ne se situe pas au niveau d’une simple transformation technique des modes de transport, même si sa résolution peut y trouver des applications ou des illustrations. Il s’agit d’une question théorique que le progrès concernant la connaissance de l’électromagnétisme et de la lumière met sur le devant de la scène physico-mathématique. Il est désormais possible d’imaginer et de faire entrer en ligne de compte un déplacement à une vitesse du même ordre que celle d’une onde lumineuse ou d’un « train d’ondes ». On connaît la réponse à laquelle l’étonnement d’Einstein le conduisit. L’échange d’informations par la parole devenant désormais problématique et comme la condition désormais nouvelle d’un échange des variables, les personnages de notre décor doivent se fonder sur une définition commune de la simultanéité en la rendant explicite, opérationnelle et, en quelque sorte, objet de change ou « monnayable ». Qui plus est, ce qu’ils observent et ce qu’ils peuvent en dire devient subordonné à une telle définition et comme inféodé à une déduction d’un nouveau genre ; ils doivent intégrer leurs observations ou leurs relevés temporels et spatiaux dans un compte bien particulier, une nouvelle lecture de l’heure qui doit donner la primauté à des considérations théoriques sur une simultanéité immédiate qui jusqu’alors allait de soi. Ainsi, la simultanéité de l’éclair avec un moment singulier de ma vie revêt une immédiateté artificielle ; comme dans ce grand jeu entre réel et imaginaire, ce grand jeu d’images réfléchies ou réfractées dont Descartes a étudié les lois dans sa Dioptrique, elle est un reflet trompeur qui risque de me faire commettre une erreur de parallaxe si je n’analyse pas une coïncidence apparente entre un événement objectif et le phénomène qui le signale, si je ne tiens pas compte de l’espace et du temps qui me séparent de l’événement en question et dont l’éclair ne fait que signaler ou signifier l’existence. C’est au sein désormais d’un seul et même espace particulier, d’un seul et même lieu déterminé d’échanges, un espace considéré par les personnages qui s’y trouvent comme immobile et stable, et non pour tous les espaces réunis dans un espace absolu, que la simultanéité de deux éclairs produits en des points déterminés a un sens et une valeur. Je peux toujours imaginer le point milieu où ils arriveraient en même temps ; mais alors, ainsi que Mme Balibar l’a fort justement souligné, la simultanéité qui était classiquement supposée identique quelque soit le référentiel choisi, absolue, devient relative en ce sens où elle doit désormais être définie, comme le mouvement depuis Galilée, respectivement à un référentiel considéré immobile. La Relativité réalise en quelque sorte la théorie des correspondances spatio-temporelles pour étoiles ou pour chef de gare intersidéral en complétant les formules que Newton avait élaborées pour les planètes d’après le mouvement des navires. De fait, pour assurer une bonne correspondance entre les navettes dans l’espace ou pour éviter qu’elles ne se rencontrent accidentellement, il faut désormais reconnaître que la simultanéité entre des événements A, B, C, etc… dépend du système de référence dans lequel vous voyagez, c’est-à-dire du point de vue que vous occupez dans l’espace-temps : ce qui est simultanéité pour vous ne l’est plus forcément pour un autre et les formules de Lorentz-Poincaré fournissent à l’agent de change, ou au caissier relativiste, les nouvelles tables de conversion permettant de calculer les écarts et d’accorder des perspectives ou des comptes désormais séparés. Le mot caissier doit ici faire référence à ces mots jumeaux dans nombre de langues européennes, orientés pour l’un du côté de l’activité intellectuelle et du calcul (zählen, Zähler ; teller, account ; contare…), pour l’autre du côté de la narration (erzählen, Erzähler ; teller ; account ; raccontare…), et que le français moderne a cru savamment diviser et rendre mieux visibles en revêtant le premier de la lettre p là où il n’existait auparavant que le seul et unique mot « conte ».

Depuis 1905 donc, les référentiels spatio-temporels sont des points de vue équivalents les uns aux autres et il n’en existe plus qui soient comme l’espace et le temps absolus de Newton, transcendant, quasi divin et sans horizon. Désormais l’espace-temps se voit découpé de manière différente et coordonné respectivement, ou comme dit Galilée rispetto, à un référentiel. Ainsi qu’Einstein l’a lui-même suggéré, la théorie de la Relativité est essentiellement une théorie des correspondances entre points de vue – une Standpunktslehre -, on pourrait préciser, comme M. Jean-Marc Lévy-Leblond, une théorie des points de vue nouvelle par rapport à celle de Newton ; j’ajouterais : une nouvelle « perspectiva artificialis » échappant à notre appréhension commune qu’elle généralise pourtant et convenant à cet éloignement, ou conversion, dans l’espace-temps d’un nouvel ordre que constitue le « temps-lumière ».

 

Comme dans Durée et simultanéité, Bergson se défend, ce 6 avril 1922, de nier purement et simplement l’importance de la Relativité ainsi que la valeur des conséquences qu’elle permet de déduire. Au niveau des calculs et des symboles, le physicien donne sans aucun doute les corrections nécessaires qu’apporte, pour les grandes vitesses, cette nouvelle « perspectiva artificialis ». Ce point est d’ailleurs précisément visé dans Durée et simultanéité. Le relativiste peut bien établir les correspondances entre les temps multiples, il agit comme le peintre représentant le personnage éloigné plus petit que celui qui est à ses côtés. Il faut ici désamorcer la troublante gémellité entre le personnage au repos et son double – comme dit Bergson - « dans le miroir du mouvement » ; il faut faire la part du réel et celle du fictif ou de l’imaginaire : le temps réel, celui qui est vécu de l’intérieur, comme la grandeur réelle, ne doit pas être mis sur le même compte que le temps représenté dans les calculs du physicien. On peut d’ailleurs montrer comment l’argumentation de Bergson se tend autour de cette corde apparemment anodine que constitue l’idée de perspective. Si le relativiste dispose désormais de la « perspectiva artificialis » correspondant à la mécanique des grandes vitesses, celle-ci ne se rattache pas moins à la « perspectiva communis », c’est-à-dire à notre appréhension commune de l’espace et du temps.

Quelle est donc la critique de la simultanéité par laquelle le philosophe se propose de compléter celle du physicien et de concilier « perpectiva artificialis » et « perspectiva communis » ? Bergson oppose à la définition de la simultanéité d’Einstein une définition qu’il semble à première vue difficile de ne pas accorder : que ce soit pour la simultanéité des perceptions ou pour la simultanéité des événements, parler de simultanéité, c’est toujours coordonner l’un et le multiple, ou plus précisément ce caractère de tout acte de conscience d’être « un ou deux à la fois ». Mais écoutons Bergson :

 

« Qu’entend-on d’ordinaire par simultanéité de deux événements ? Je considérerai, pour simplifier, le cas de deux événements qui ne dureraient pas, qui ne seraient pas eux-mêmes des flux. Ceci posé, il est évident que simultanéité implique deux choses : 1° Une perception instantanée ; 2° La possibilité, pour notre attention, de se partager sans se diviser. J’ouvre les yeux pour un moment : je perçois deux éclairs instantanés partant de deux points. Je les dis simultanés parce qu’ils sont un et deux à la fois : un, en tant que mon acte d’attention est indivisible, deux en tant que mon attention se répartit cependant entre eux et se dédouble sans se scinder. Comment l’acte d’attention peut-il être un ou plusieurs à volonté, tout d’un coup et tout à la fois ? Comment une oreille exercée perçoit-elle à chaque instant le son global donné par l’orchestre et démêle-t-elle pourtant, s’il lui plaît, les notes données par deux ou plusieurs instruments ? Je ne me charge pas de l’expliquer ; c’est un des mystères de la vie psychologique. Je le constate simplement et je fais remarquer qu’en déclarant simultanées les notes données par plusieurs instruments, nous exprimons : 1° Que nous avons une perception instantanée de l’ensemble ; 2° Que cet ensemble, indivisible si nous voulons, est divisible si nous le voulons, aussi : il y a une perception unique, et il y en a néanmoins plusieurs. Telle est la simultanéité, au sens courant du mot… »

 

Cette définition s’accorde selon Bergson avec le sens commun, elle est : « donnée intuitivement, elle est absolue en ce qu’elle ne dépend d’aucune convention mathématique, ni d’aucune opération physique telle qu’un réglage d’horloge ». Mais elle s’accorde également pour Bergson avec la définition donnée par la théorie de la Relativité. Quand le physicien parle de la simultanéité entre les indications des horloges H et H’ pour des événements E et E’, il s’agit d’une simultanéité dépendant du réglage des horloges et de conventions mathématiques qui ne peut écarter la première définition de la simultanéité. Bergson poursuit :

 

« La simultanéité entre l’événement et l’indication d’horloge est donnée par la perception qui les unit dans un acte indivisible ; elle consiste essentiellement dans le fait – indépendant de tout réglage d’horloges – que cet acte est un ou deux à volonté. Si cette simultanéité-là n’existait pas, les horloges ne serviraient à rien. On n’en fabriquerait pas, ou du moins personne n’en achèterait. Car on n’en achète que pour savoir l’heure qu’il est ; et « savoir l’heure qu’il est » consiste à constater une correspondance, non pas entre une indication d’horloge et une autre indication d’horloge, mais entre une indication d’horloge et le moment où l’on se trouve, l’événement qui s’accomplit, quelque chose enfin qui n’est pas une indication d’horloge. »

 

Pour le dire autrement ou pour interpréter aujourd’hui la proposition bergsonienne, laissons au physicien les indications d’horloges et les correspondances ferroviaires dans ses comptes d’espace-temps, il n’en reste pas moins que ces indications se fondent sur le besoin de « savoir l’heure qu’il est » ou de lire l’heure, et la constatation d’une correspondance première et sous-jacente que l’on ne saurait évincer. Le philosophe oppose en définitive à propos de l’espace-temps un compte renfermant une réalité d’un autre ordre, d’une autre valeur. Le caissier, ou l’agent de change, relativiste peut bien établir les échanges entre les différents référentiels de l’espace-temps, son opération n’aurait aucune valeur, ni aucun sens, sans l’invariabilité qui la fonde dans la durée : il s’agit de compléter la simultanéité du physicien en considérant quelque chose qui s’accomplit, quelque chose qui advient, ou pour faire référence à un univers apparemment éloigné de celui du physicien et qui paraîtra incongru ici – en l’occurrence celui de la première enfance - le philosophe fait signe vers quelque chose qui doit être appréhendé selon un autre point de vue, un autre conte.

Comment comprendre la définition de la simultanéité que donne Bergson ce 6 avril 1922 ? Elle paraît si évidente que le physicien ne saurait semble-t-il l’écarter. Pourtant Einstein la récuse et la déclare incompatible avec la sienne. Essayons de prendre un peu de recul et de nous placer en quelque sorte en ce point milieu d’où nous pourrions entendre et mesurer ce qui sépare les définitions dont physicien et philosophe veulent à tout prix rendre compte ; il y aurait donc ainsi pour Bergson nécessité de critiquer une dualité fondamentale et de démêler deux côtés, ou deux sens, à l’idée de simultanéité :

1° Celui de la multiplicité des éléments coordonnés et dits simultanés.

2° Celui de l’unicité d’une seule et même intuition, l’unicité d’un instant pris sur la durée.

Or, cette coordination de l’un et du multiple à propos de la simultanéité repose en définitive sur une certaine idée du nombre, et corrélativement, de la perspective ; une certaine idée, au bout du compte, de cette surface de contact, voire de réflexion et de réfraction, que constituent pour la conscience, le temps et l’espace. Bergson laisse entendre ici sans l’expliciter davantage la coordination de deux ordres ou de deux sens :

1° Celui de l’espace comme ordre de la multiplicité quantitative ; celui qui nous permet de parler, de compter, de différencier les éléments multiples divisés dans un ensemble comme les instruments entendus simultanément dans un orchestre.

2° Celui de la durée comme ordre de la multiplicité qualitative ; celui qui se manifeste par exemple quand nous nous laissons portés par la musique et, pour ainsi dire, quand nous nous en laissons conter.

Si bien que l’idée de simultanéité que Bergson présente à Einstein ce 6 avril 1922 se rattache en droite ligne à son premier essai sur les Données immédiates de la conscience et à la critique du nombre qui en constitue le cœur. C’est donc bien à la rencontre en direct, live, de deux étonnements, de deux éclairs de génie à propos de la simultanéité, que nous assistons : celui qui conduisit le premier à la philosophie de la durée, le second à la théorie de la Relativité. Pour le philosophe qui l’écrivait dès 1889, l’idée de simultanéité constitue « l’intersection de l’espace et du temps. » Evoquant le processus complexe par lequel nous créons le temps homogène comme une quatrième dimension de l’espace dans notre besoin de nous représenter le temps véritable, Bergson écrivait trente trois ans plus tôt :

 

« Que si maintenant nous essayons, dans ce processus très complexe, de faire la part exacte du réel et de l’imaginaire, voici ce que nous trouvons. Il y a un espace réel, sans durée, mais où les phénomènes apparaissent et disparaissent simultanément avec nos états de conscience. Il y a une durée réelle, dont les moments hétérogènes se pénètrent, mais dont chaque moment peut être rapproché d’un état du monde extérieur qui en est contemporain, et se séparer des autres moments par l’effet de ce rapprochement même. De la comparaison de ces deux réalités naît une représentation symbolique de la durée, tirée de l’espace. La durée prend ainsi la forme illusoire d’un milieu homogène, et le trait d’union entre ces deux termes, espace et durée, est la simultanéité, qu’on pourrait définir l’intersection du temps avec l’espace. »

 

Une autre citation extraite des Données immédiates montre comment l’intervention de Bergson devant Einstein plonge ses racines dans son étonnement initial et le phénomène qu’il a essayé d’articuler et d’exprimer :

 

« … il n’y a guère d’autre définition de l’espace : c’est ce qui nous permet de distinguer l’une de l’autre plusieurs sensations identiques et simultanées : c’est donc un principe de différenciation autre que celui de la différentiation qualitative, et, par suite, une réalité sans qualité. »

 

Mais ce que la rencontre manquée de 1922 manifeste en premier lieu, c’est que l’idée de simultanéité, outre l’intersection de l’espace et du temps, marque ou signale un enjeu plus crucial encore, celui du rapport entre physique et métaphysique. Aussi nous faut-il essayer de retenir aujourd’hui dans les propos que Bergson tint devant Einstein, les deux fils qui n’ont pu se nouer ce jour-là.

 

Cette part de multiplicité, ou de divisibilité, dans notre perception du simultané a une généalogie aisément repérable dans l’œuvre bergsonienne : il s’agit de cette part constitutive de la conscience humaine qu’est l’espace comme milieu homogène, milieu moins donné intuitivement que conçu, l’espace comme dimension par excellence de l’homogénéité. De plus, si nous nous reportons aux trois principaux ouvrages de Bergson déjà parus en 1922, la Relativité en tant que théorie scientifique, ne peut que développer, ou dévider, cette propension naturelle de notre conscience, cet écheveau de notre expérience qui nous porte à différencier les choses dans l’espace, à les rendre d’autant plus visibles et divisibles que nous comptons sur elles pour vivre et pour agir.

Quelle est alors cette autre part dans notre perception de la simultanéité, celle suivant laquelle elle est, non plus multiple, mais indivisible et invisible pour nous la plupart du temps ? L’évocation des notes jouées par les différents instruments de l’orchestre sonne d’une manière d’autant plus étrange, ou insolite, à une oreille bergsonienne, qu’elle se fait étonnamment discrète devant Einstein. Cela sonne comme un appel ou un signal de ralliement devant une menace, celle que ferait courir en l’occurrence une mauvaise interprétation de la relativité au sens général du mot. Cette part d’invisibilité, ou d’indivisibilité, de la simultanéité participe en effet de cette autre part constitutive et immédiate de notre conscience, celle à laquelle un effort d’attention permet d’accéder afin de déjouer les réfractions optiques accompagnant l’intelligence et la spatialisation qui lui est inhérente, que ce soit dans l’activité quotidienne de tout un chacun ou dans celle du savant. L’intuition de l’indivisible, ou de la durée, contenue dans l’idée de perspective est à côté, ou à l’opposé de la relativité du multiple, la part proprement immédiate et absolue, celle que Bergson s’est donnée dès son commencement le devoir de relever et de défendre à l’encontre du mode naturel de pensée de la conscience et de la science.

La question de la simultanéité est donc, et d’une manière qui est fondamentalement double, voire gémellaire, un point crucial : en elle se produit la rencontre non seulement de l’espace et du temps véritable, ou durée, mais aussi des deux possibilités de notre conscience s’accomplissant suivant les deux sens moins opposés que complémentaires que sont ceux de la science et de la philosophie. La thèse que Bergson ne fait qu’évoquer le 6 avril 1922 peut donc se résumer dans la formule « Durée et simultanéité » dont il avait par ailleurs parfaitement explicitée l’équation, mais dont il ne dit rien devant Einstein ; cette formule cependant en cache une autre sous-tendue par cette question : durée ou simultanéité ? Peut-on accorder à propos du temps les perspectives de Bergson et d’Einstein, de la physique et de la métaphysique ? De fait, Einstein refusa la formulation de Bergson. De la même façon, et sans doute pour les même raisons, Durée et simultanéité ne reçut du côté de la science, dans un premier temps, qu’incompréhension, hostilité, ou indifférence ; au mieux, et dans un deuxième temps, une tentative de récupération, de ce qui dans la complexité de l’argumentation pouvait en être extrait et conservé. Et le procès que Bergson avait intenté à l’encontre des supposés leurres naturels que la conscience et la science seraient incapables de déjouer seules, se retourna contre lui. A défaut d’éviter le filet supposé tendu autour de la Relativité, Bergson s’enferma lui-même dans une argumentation qui, de plus en plus précise, de plus en plus serrée, ne faisait que l’enserrer toujours davantage pour finalement l’immobiliser, le contraindre à abandonner non seulement la question mais aussi l’espoir de rejoindre l’autre rive.

 

**

 

La question de la simultanéité telle qu’elle se posait entre Einstein et Bergson, les conduisit tour à tour au silence : puisque la discussion ne pouvait avoir lieu faute de parler de la même chose, il n’y avait plus rien à en dire. Ainsi fit Einstein ce 6 avril 1922, suivi par Bergson, cinq rééditions de Durée et simultanéité plus tard. Quelle conduite prendre devant cette rencontre manquée ? Devons-nous, nous aussi en rester là, devons-nous nous aussi observer ce même silence ? N’y aurait-il pas plutôt quelque chose à y observer ? Quoiqu’il en soit plusieurs alternatives ou figures ont déjà été jouées, comme autant de tentatives pour en rendre compte ou pour dépasser cette alternative problématique entre deux points de vue s’opposant dans le miroir du mouvement. Comme si, finalement, il fallait choisir entre la durée du philosophe et la simultanéité du physicien.

 

La première alternative consiste à prendre parti pour l’un, et à rejeter la responsabilité de l’échec sur l’incompréhension manifeste de l’autre. Ainsi André Metz qui se fit le champion de la Relativité devant Bergson, figure une certaine attitude de refus et d’intransigeance : ou bien Bergson n’a rien compris, au mieux il a commis de « sacrés bourdes ». Il fit d’ailleurs appel dans son échange avec Bergson à l’autorité d’Einstein lui ayant écrit le 2 juillet 1924 :

 

« Il est regrettable que Bergson se soit si lourdement trompé, et son erreur est bien d’ordre purement physique, indépendante de toute discussion entre écoles philosophiques… Bergson oublie que la simultanéité (ainsi que la non-simultanéité) de deux événements qui affectent un seul et même être  est quelque chose d’absolu, indépendant du système choisi. »

 

Dans tous les cas, le physicien a seul le droit de désamorcer l’apparence paradoxale de la théorie en explicitant cette « perspectiva artificialis » qui ne fait que généraliser au niveau de l’espace-temps notre perspective ordinaire. Du côté du philosophe, cette figure du rejet se réfléchit en la personne de Maurice Merleau-Ponty qui prit la défense de Bergson dans son texte « Einstein et la crise de la raison ». En tant que représentant de l’idéal classique, Einstein n’a pas compris la proposition qui lui était faite pour désamorcer l’apparence paradoxale de sa théorie. Or curieusement, et de la même façon que le physicien, le philosophe fait référence sur ce point précis à la perspective : il faut, dit Merleau-Ponty qui reprend la formule de Bergson, « être plus einsteinien qu’Einstein » ; il faut ancrer, ou compléter, la perspective au second degré du physicien par la perspective première et indépassable de notre expérience. Cet argument de défense est d’autant plus étonnant qu’il retourne comme un gant le propos de Bergson. Merleau-Ponty cite ainsi le passage de Durée et simultanéité concernant le peintre et les deux personnages jumeaux dans la perspective relativiste, mais c’est pour aussitôt inverser le vice naturel du physicien tel que le comprenait Bergson : non pas se détourner naturellement de la mobilité des choses et s’enfermer de manière artificielle dans un point de vue sur le mouvement, mais au contraire :

 

« prêter abusivement à Paul l’image que Pierre se fait du temps de Paul, porter à l’absolu les vues de Pierre avec qui il fait cause commune, se supposer spectateur du monde entier et faire ce qu’on reproche tant aux philosophes ».

 

Comme s’il s’agissait désormais non pas de dépasser la perspective incomplète du physicien sur la simultanéité, mais de la compléter au contraire en l’approfondissant vers « le monde concret de notre perception avec ses horizons [d’où nous pouvons situer] les constructions de la physique »…

Cette première figure ou alternative, qu’elle soit celle du philosophe ou celle du physicien, se résume en définitive dans un seul et même argument désormais trouble et ambigu : pour désamorcer l’apparence paradoxale de la théorie comme pour défendre la thèse que l’on s’est choisie, il suffit d’attribuer à celui d’en face l’erreur dont seul le choix du bon camp aurait pu le préserver : rapporter en l’occurrence la « perspectiva artificialis » de la Relativité à la « perspectiva communis », en mettant l’accent du bon côté, celui de la physique ou bien celui de la philosophie. C’est cependant revenir, sans la dépasser, à la question de la perspective initialement en jeu. L’échec premier se dédouble ou se répète dans le procès de deux figures opposées et inconciliables qui, elles non plus, n’ont toujours rien à se dire.

 

La deuxième alternative est celle que présenta Edouard Le Roy dans l’article de 1937 publié dans la Revue Philosophique sous le titre « Les paradoxes de relativité sur le temps ». Il s’agit là d’une tentative de nature différente qui ne cherche pas à prendre de manière unilatérale la défense de l’un ou de l’autre. Le Roy veut faire reconnaître les torts de chacun à propos de la Relativité et entreprend « une étude critique de la question elle-même » qui puisse permettre de concilier les positions. Si Bergson et Einstein ne se sont pas entendus, c’est parce qu’ils ne se comprenaient pas entièrement. Si la première alternative répétait, ou dédoublait, l’altercation initiale, celle de Le Roy a le mérite de porter le dédoublement sur le devant de la scène, non plus pour ainsi dire au niveau des personnages, mais au niveau de l’argument. Il s’agit en l’occurrence de la double notion du Réel :

 

« ... deux notions hétérogènes du réel sont en service, et à la fois en conflit et en collaboration, dans la science : 1° le réel défini par la perception sensible directe [notion empiriste ou sensible du réel] ; 2° le réel défini indirectement par un concours d'exigences théoriques [notion idéaliste]. Il faut noter chaque fois, dans quelle perspective on se place. »

 

A cette dualité se rattache la distinction entre deux modes d’appréhension, ou de mesure, du réel, appelés direct et indirect. Le Roy définit ainsi cette distinction dans les préliminaires de son étude :

 

« Convenons, pour abréger, de dire « mesure directe » ou « mesure indirecte » plutôt que mesure jugée réelle selon le critère empiriste ou selon le critère idéaliste. Une mesure directe est lue sensiblement sur un appareil auprès duquel se trouve l’observateur, tandis que la mesure indirecte est déterminée de loin par un jeu d’exigences théoriques. Celle-ci est conclue rationnellement ; l’autre, perçue avec les yeux. Par exemple, sont mesures directes une longueur x évaluée au moyen d’un mètre qu’on tient à la main ou une heure t relevée par le regard sur une horloge voisine. Au contraire, sont mesures indirectes toutes celles qui se rapportent à des objets hors de nos prises immédiates, notamment celles de l’immense ou de l’infime qui ne peuvent être obtenues que par une sorte de triangulation lointaine... »

 

Ainsi redéfinis les éléments de l’enquête, Le Roy peut alors renvoyer dos à dos philosophe et physicien dans un procès qui n’a plus lieu d’être. Bergson s’est « trop strictement limité, pour établir un critère de réalité, aux seules perspectives de la notion empiriste et sensible. Par contre, les physiciens n’ont généralement pas distingué avec une rigueur assez claire les deux notions l’une de l’autre ». Et Le Roy de continuer sur un point qui doit maintenant susciter notre étonnement :

 

« Les remarques développées jusqu’ici viennent de mettre en évidence qu’au lieu d’invoquer seulement des effets de perspectives en rapport exclusif avec la notion psychologique du réel, mieux vaut leur substituer un appel à quelque rencontre des deux critères de réalité. Nous pouvons entrevoir ainsi, d’ores et déjà, un principe de probable synthèse conciliatrice entre les vues de M. Bergson et celles des physiciens… »

 

Ainsi, c’est la même raison qui conduit non seulement aux prétendus paradoxes relativistes sur le temps, mais aussi à l’incompréhension réciproque entre Bergson et les physiciens. Qui plus est, la référence à la perspective se voit reconduite et comme partagée entre deux supposées notions du Réel :

 

« En définitive, les paradoxes de relativité sur le temps ne méritent pas vraiment leur nom. Ce ne sont que des conséquences d’une confusion entre les deux critères de réalité… »

 

L’alternative que propose Le Roy est en quelque sorte celle d’un constat à l’amiable destiné à mettre fin à une rencontre accidentelle et malheureuse. Il suffirait de reconnaître deux zones de juridiction distinctes, deux types de mesures, deux sens différents et pourtant aussi légitimes l’un que l’autre du Réel, pour résoudre, non seulement les paradoxes relativistes sur l’espace et le temps, mais aussi et surtout le différend entre philosophe et physicien… Il faut reconnaître le mérite d’une telle tentative ; elle a permis d’apaiser un débat et de mettre un terme à des jugements qui n’auraient jamais dû être portés sur un camp ou sur l’autre. A condition d’utiliser et de partager un langage prudent – mesures directes et indirectes, grandeurs intrinsèques, temps propre… - chacun pouvait désormais travailler de son côté dans un climat d’apaisement qui est encore celui que nous connaissons aujourd’hui. On peut se demander cependant si en mettant fin de cette manière au désaccord, on n’atteint pas là qu’une position extérieure au problème, qui interdit certes toute attaque, mais aussi tout passage et finalement tout dialogue. Comme si Le Roy n’avait fait que tracer une ligne de front, entériner une frontière naturelle de part et d’autre de laquelle chacun devait désormais rester chez soi. La figure incarnée par Le Roy offre, certes, l’intérêt d’envisager la question pour elle-même mais elle manifeste cependant son insuffisance quant au partage qu’elle institue au cœur, non seulement du réel mais aussi de la Philosophie. Cela fait penser à une dispute entre enfants : l’objet qu’ils se déchirent dans un même élan, ici et maintenant, se voit dédoublé par la figure du maître. Comme cet élève en pénitence qu’évoque Bergson à propos de la critique kantienne, chacun repart alors dans son coin avec une partie de ce qu’il convoitait et sans plus rien dire à l’autre : celui-ci ici, cet autre là-bas… En mettant fin aux « chamailleries », Le Roy a-t-il véritablement résolu la question débattue dans le différend initial ? Ne se situe-t-il pas encore à l’extérieur non seulement de la formulation bergsonienne mais aussi de la question elle-même ? Il nous semble, en effet, qu’il ne s’agit là que d’une solution partielle et momentanée, d’une dissolution plutôt qu’une résolution ; elle apporte certes un armistice, non une paix totale et définitive. On ne peut qu’être frappé notamment par la manière dont Le Roy reprend pour conclure cette idée de perspective que partagent les relativistes et Bergson, et qui les partage :

 

« Dans la direction de recherche que je viens de rappeler, on voit s’évanouir les paradoxes comme tels. Pour achever d’éclaircir ce point, revenons une dernière fois aussi à la comparaison avec les effets de perspective. Plaçons-nous d’abord dans l’ordre purement spatial de la perspective ordinaire. Le rapetissement alors exprime une distance, et il tient à la substitution d’un procédé de mesure indirecte au procédé de métrage immédiat ; mais cela n’empêche pas qu’il soit vu sensiblement. Si néanmoins on ne conclut pas à un paradoxe en pareil cas, c’est parce qu’on sait bien l’impossibilité d’une application des deux procédés de mesure à la fois, le rapprochement qu’exigerait l’usage du procédé direct supprimant l’apparence que produit la distance. Eh bien ! Il en va tout pareillement pour les altérations de relativité. Elles expriment, cette fois, une vitesse de déplacement réciproque et sont dues encore à la substitution de mesures indirectes aux mesures directes. Pour être à même d’employer à la fois les deux procédés, - condition sans laquelle aucun paradoxe ne peut naître, - un arrêt du mouvement serait indispensable, comme l’était tout à l’heure une suppression de distance ; et cet arrêt, si on réussissait à l’effectuer, aurait le même résultat que le rapprochement dans le cas de la perspective ordinaire, à savoir la disparition de l’inégalité qui matière du paradoxe. Donc celui-ci reste illusoire et, en quelque sorte, purement verbal, même dans l’hypothèse où l’on parviendrait à voir sensiblement les contractions ou dilatations déterminées par la vitesse. Bref, ce qui serait vu alors, ce serait la vitesse elle-même, comme c’était la distance dans la perspective ordinaire. Autrement dit, admettons que la vue en vitesse devienne sensiblement possible comme l’est la vue à distance : aucun paradoxe véritable ne saurait être déduit de là. »

 

Cet usage de la perspective prétendue « ordinaire » permet donc de conjuguer – telle la clé de voûte de l’argumentation – les deux aspects des mesures directes et indirectes, les deux notions du Réel. A en croire ainsi Le Roy, il n’y a pas de paradoxe relativiste de la même manière qu’il n’y a pas de conflit entre les deux notions mais plutôt corrélation, alternative sans opposition, ou complémentarité : soit on est en présence de l’aspect direct ou empiriste (c’est l’aspect de la proximité immédiate dans la perspective ordinaire), soit on est en présence de l’aspect indirect ou idéaliste (c’est l’aspect de l’éloignement) mais jamais les deux ne sont en présence en même temps l’un avec l’autre. Le conflit ne peut donc avoir lieu. Cette dernière formule présentant la solution à l’alternative - « le conflit ne peut avoir lieu

 » - indique peut-être une nouvelle figure, le cœur encore vivant du problème en tant que tel recouvert et non véritablement résolu. L’interprétation de la Relativité à laquelle nous convie Le Roy, ne reconduit-elle pas, en effet, une interprétation insuffisante de la perspective et, finalement, de la relativité ? Ne s’agit-il pas là plus précisément d’une nouvelle forme de cette spatialisation tant critiquée par Bergson ? Relisons, en effet, les mots mêmes employés par l’auteur :

 

« Dans la direction de recherche que je viens de rappeler, on voit s’évanouir les paradoxes comme tels. Pour achever d’éclaircir ce point, revenons une dernière fois aussi à la comparaison avec les effets de perspective. Plaçons-nous d’abord dans l’ordre purement spatial de la perspective ordinaire… »

 

Il nous faut ici observer un silence… : « dans l’ordre purement spatial de la perspective ordinaire

 » écrit Le Roy… Un tel rapprochement entre espace et perspective va-t-il donc de soi ? En voulant concilier la Relativité avec la philosophie qu’il pensait défendre, le fidèle disciple de Bergson n’a-t-il pas également recouvert et étouffé l’intuition de la durée elle-même ?

 

Tel est en tout cas le silence que nous voudrions faire observer et partager. Une troisième alternative pourrait alors être suivie : il s’agirait de vouloir comprendre véritablement la raison et l’enjeu de l’altercation initiale, vouloir transformer le silence imposé par une autorité - qu’elle soit attribuée à un seul parti ou bien partagée sous une double législation -, en dialogue. A condition que ce ne soit pas là l’occasion de « se faire, comme on dit, une raison », ou de faire le constat à l’amiable de la rencontre malheureuse et accidentelle de ce 6 avril 1922, il est possible d’en donner un nouveau sens. A la manière de l’archéologue qui fouille avec patience et modestie les débris du passé devenus pour le présent insignifiants, le philosophe peut trouver là, même brisé, quelque chose d’indéterminé mais de précieux ; il suffit alors de retrouver les deux bords accidentellement désunis et de les assembler dans leur unité originelle. Ce qu’il y a de profondément étonnant dans la confrontation entre Einstein et Bergson, c’est qu’elle signale la rencontre ou l’appariement de deux étonnements convergents, si proches et, en même temps, si éloignés. Et comme à propos des éclairs émis depuis des points distincts dans la théorie relativiste, nous devons ici aussi nous placer au point central, ou point d’équilibre, à la jointure entre les deux. Il nous faut mettre en question ce qui relèverait d’une appréhension naturelle de l’espace et du temps, une appréhension spatialisante qui séparerait, comme allant de soi, espace et temps. Puisque l’origine de ce procès semble tenir dans le grief initial qu’explicita Bergson à l’encontre de la formulation relativiste, puisque apparemment c’est lui, comme disent les enfants, « qui a commencé », c’est de ce côté qu’il nous faut aujourd’hui nous tourner.

 

***

Merleau-Ponty a écrit un jour :

 

« Les philosophies sont les coquilles que les philosophes ont habitées : elles laissent à peine deviner la vie cachée de l’animal. Au-delà des doctrines, être philosophe, c’est sentir que les vérités sont discordantes et pourtant solidaires, c’est chercher le nœud, les maintenir ensemble comme elles sont ensemble dans le monde, c’est la résolution de tout dire, un pari sur la clarté. »

 

Il nous faut revenir ici sur cette expérience par la pensée évoquée en commençant. La philosophie de la durée n’est pas, parmi beaucoup d’autres, une coquille apparemment vide et sans vie abandonnée sur les rives de l’histoire, ou du temps. Elle est aujourd’hui, tout comme elle était à l’époque où le jeune Bergson commençait son parcours philosophique, une manière unique, toujours vivante, d’entendre et d’habiter le monde.

Quand le philosophe invite le physicien à se pencher sur cette dualité de l’un et du multiple, sur un effet de miroir qu’il faudrait déjouer, il cherche à l’entraîner du côté de la durée. Or, celle-ci est fondée sur une conception du rapport entre espace et temps qui est celle d’une séparation de droit recouverte ou voilée par cet amalgame de fait auquel nous condamne, si nous n’y prêtons pas attention, l’intelligence. Einstein, pas plus que les physiciens après lui et jusqu’à aujourd’hui, ne pouvait suivre le philosophe dans cette critique de la science classique, de la mécanique newtonienne en particulier. Pour une raison bien simple : la théorie de la Relativité renouvelle du côté de la physique, cette même conception classique du temps et de l’espace en se fondant précisément sur l’amalgame des deux. Il y a cependant quelque chose de fécond et de toujours aussi jeune dans l’étonnement premier de Bergson, quelque chose que nous devons entendre et nous réapproprier dans le grief qu’il adresse à l’intelligence et à la conscience naturelle. C’est la raison pour laquelle l’essai bergsonien ne peut faire l’objet d’une approche partielle, que ce soit du côté de la physique, de la philosophie, ou bien des deux : parce qu’il mobilise l’intégralité de la philosophie de la durée, cet essai est à conserver et à réinvestir de l’intérieur et dans son entier.

Si la perspective philosophique de la simultanéité à partir de l’un et du multiple et qui reprend la critique de 1889 concernant le temps et son nombre, est le double inversé de la perspective physicienne, c’est parce qu’elle se fonde, tout comme elle, sur une théorie des points de vue, une certaine idée de la perspective que l’on peut appelée perspective de l’Idée et de son ombre. Dans la définition bergsonienne de la simultanéité se joue le mystère, ou le paradoxe, de toute conscience humaine comme « un et deux à la fois », celui d’un courant qui nous traverse et que Bergson interprète de manière spéculative sous la figure du double symbolique et de la copie. Comprendre la raison du silence issue de la rencontre entre Bergson et Einstein, c’est penser ou, plus précisément, accepter cette donnée de la conscience qui est de ne jamais pouvoir atteindre un double qui, irréversiblement, la devance. En se brisant en deux morceaux à un certain moment, ou hiatus, de son histoire, le dialogue entre les deux parties constituant la Philosophie se voit précisément esquissé dans cette ligne de fracture même, dans une ligne qui est une limite et non une frontière entre deux rives, dans cette faille, ou cette fêlure, toujours active et créatrice qui s’ouvre aujourd’hui sur de nouveaux « contes » de l’espace-temps. Là où le philosophe a cru devoir opposer à la définition relativiste de la simultanéité, l’idée de durée à la lumière de la perspective, c’est bien plutôt l’idée de perspective à la lumière de la durée qu’il nous faut examiner aujourd’hui comme cette inconnue du sens commun, ce trait d’union qui permettrait de renouer le dialogue et rétablir l’équation entre physique et métaphysique. Il est possible de reprendre à nouveau ce qui mobilisa le jeune Henri Bergson : tout comme L’Essai proposa une manière originale de poser le problème de la liberté plutôt que de choisir le côté de ses adversaires ou de ses défenseurs, il s’agit de refuser aujourd’hui l’alternative entre la durée du philosophe et la simultanéité du physicien, et de voir si le problème de leur rapport ne pourrait pas être posé d’une tout autre manière. Il me semble en l’occurrence que l’idée première de Bergson concernant l’espace et le temps, idée qui conduisit trente trois ans plus tard à une certaine équation entre durée et simultanéité, et à son rejet par Einstein, est encore aujourd’hui le moyen de reformuler le problème afin d’en résoudre l’équation et ses « dérivées ».

 

Revenons pour finir, ou pour recommencer, à ce voyageur qui essayait de rejoindre son image dans le miroir. A suivre la perspective classique de Newton, il aurait dû depuis longtemps déjà voir son image se troubler et disparaître… Si cela ne s’est pas produit, c’est que par ailleurs, et comme un malin génie, le formalisme de Maxwell l’interdit en octroyant à la lumière l’insigne privilège de toujours se manifester avec sa fameuse vitesse c. Ce qu’il y avait de particulièrement paradoxal du côté de la physique, c’est que la constance de la vitesse de la lumière contredisait un des principes fondamentaux de la mécanique classique : le voyageur d’Einstein, à la différence du voyageur de Galilée enfermé « dans la plus grande cabine sous le pont d’un grand navire », aurait eu alors la possibilité de discerner son mouvement de son seul point de vue ; d’autre part, c’est cette même constante c qui faisait que rien n’était changé dans le miroir. Il y avait ici pour le physicien un paradoxe qu’il fallait résoudre. Il fallait concilier comme deux principes apparemment aussi opposés que les deux pôles de l’aiguille aimantée, la relativité du mouvement uniforme et la constance de la vitesse de la lumière. Cela exigeait que l’on prît en compte précisément le sens indiqué par l’aiguille : il fallait que quelque chose fût changé dans le rapport entre le voyageur et son double immobile, c’est-à-dire, dans la vitesse. Mesurer une vitesse, c’est établir un rapport d’intensité entre deux grandeurs jumelées, en l’occurrence l’espace parcouru et sa durée de parcours. Si ce rapport reste constant quelque soit le point de vue, il faut donc que les mesures d’espace et de temps soient différentes pour l’un et l’autre dans le rapport qu’établit la transformation de Lorentz-Poincaré. Si le voyageur d’Einstein peut continuer de se voir dans le miroir, cela montre que le temps s’écoule moins vite pour lui ! Comme si une bonne fée ou le malin génie électromagnétique de Maxwell avait fait en sorte, par une formule magique, qu’il ne se rende pas compte de son mouvement et qu’il puisse se croire immobile ou se rêver mobile ; comme si l’expérience par la pensée d’Einstein n’avait finalement été qu’une expérience par le rêve !

 

En 1988, à la fin d’une conférence, le grand mathématicien André Lichnerowicz m’avait confié à propos de la Relativité  tout bas, et à l’oreille : « il n’y a pas de paradoxe ». J’étais alors attentif au moindre signe qui aurait permis de me guider et la proposition négative du maître me conforta dans ma résolution comme l’aurait fait l’indication imperturbable d’une aiguille aimantée. J’ai résolument poursuivi l’étude que j’avais commencée en suivant ce qui était, tout compte fait, un sage conseil. Je n’ai, en effet, jamais cherché un paradoxe au sens logique de contradiction. Je n’ai jamais songé à changer quoi que ce soit à la théorie relativiste ni d’ailleurs, à l’argumentation de Bergson. Je les admire toutes deux comme des constructions symétriques mais étonnamment séparées. Je me suis efforcé de les infléchir, de les courber en quelque sorte ensemble, sous une même tension, celle de la corde qui les relie sous une double condition aux limites : l’espace-temps et la perspective.

Si nous voulons à propos de cette question de la relativité du mouvement, relier et passer d’une rive à l’autre de la Philosophie au sens ancien et noble du mot, il est nécessaire, comme à propos des deux principes tenus ensemble par Einstein, d’effectuer le plus grand écart ; en considérant l’analogie profonde qui relie l’aiguille de l’horloge et l’aiguille de la boussole, il convient d’orienter notre conception du rapport entre espace et temps dans un sens véritablement nouveau. A la manière du physicien pour l’électromagnétisme ou du mathématicien pour les nombres dits « complexes », il s’agit de coordonner dans ce sens « à rebours » qu’indiquait Platon pour la dialectique, les deux dimensions du réel et de l’imaginaire, de l’espace et du temps. La question, en effet, n’est pas de corriger certaines « erreurs », ou d’écarter certaines « boulettes ». Il s’agit de tout autre chose : l’essai bergsonien s’est voulu un pont jeté entre ces deux rives de la Philosophie dont le chantier a dû être interrompu et qu’il nous faut ouvrir à nouveau aujourd’hui.

 

Non, il n’y a pas de paradoxe… et il nous faut parler ainsi à la fois comme le physicien et le philosophe qui se sont opposés et ne se sont pas rejoints. Mais tel est justement le paradoxe ! Un paradoxe dans un sens non plus logico-métaphysique mais dans le sens premier de quelque chose qui choque, qui étonne, un quelque chose qui s’ouvre sous les mots et que toutes les propositions si lourdes de sens soient-elles ne sauront jamais combler ou endiguer. Le boulet d’Einstein, tout comme la fusée de Langevin, cache donc bien une vérité troublante, un paradoxe : s’il pouvait revenir aujourd’hui, Bergson nous reviendrait avec une philosophie plus jeune que jamais, une intuition d’autant plus perçante qu’elle s’étend depuis un point situé très loin en arrière, et traverse les silences de notre histoire. Car le voyageur de Langevin, comme dans une mise en abyme, n’est en réalité que l’avatar formalisé du voyageur d’Einstein dans son boulet qui lui-même réincarnait le voyageur de Galilée ; ce paradoxe fondateur de notre physique moderne, auquel l’auteur du Dialogue restituait la puissance de la flèche de Zénon, la puissance de la flèche du temps… et, au fond ou comme à l’horizon, la puissance du paradoxe de notre vie qu’il nous faut interpréter nous-mêmes, et dont les mythes à l’origine rendaient compte…

 

Comme l’écrivait Gide en ouvrant son Traité du Narcisse :

 

« Les livres ne sont peut-être pas une chose bien nécessaire ; quelques mythes d’abord suffisaient ; une religion y tenait tout entière. Le peuple s’étonnait à l’apparence des fables et sans comprendre il adorait ; les prêtres attentifs, penchés sur la profondeur des images, pénétraient lentement l’intime sens du hiéroglyphe. Puis on a voulu expliquer ; les livres ont amplifié les mythes ; - mais quelques mythes suffisaient.

Ainsi le mythe du Narcisse : Narcisse était parfaitement beau, - et c’est pourquoi il était chaste ; il dédaignait les Nymphes – parce qu’il était amoureux de lui-même. Aucun souffle ne troublait la source, où, tranquille et penché, tout le jour il contemplait son image… - Vous savez l’histoire. Pourtant nous la dirons encore. Toutes choses sont dites déjà ; mais comme personne n’écoute, il faut toujours recommencer. »

 

Finalement, pas plus que Narcisse, le voyageur emporté irréversiblement ne pourra franchir l’horizon de l’espace-temps sans risquer de briser le miroir de sa conscience et de rompre le fil de sa vie.

 

Paris, E.N.S., 9 novembre 2005

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