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19 octobre 2013 6 19 /10 /octobre /2013 07:20

Le boulet de Langevin et la boulette de Bergson, et réciproquement, 7

 

 

 

V L’interprétation de la relativité  

On peut prendre comme exemple de cette interprétation de la relativité du côté des physiciens, le livre du physicien américain James H. Smith publié et adapté en France par J.-M. Lévy-Leblond[1]. Il est intéressant d’analyser la présentation que donne l’auteur de la situation exposée par Einstein en 1905 avec le « système au repos » K et le « système en mouvement » K’, ou à celle de 1917 avec la voie et le train. Un curieux décalage apparaît, en effet, entre les exposés des conséquences issues des deux postulats - tout particulièrement concernant le temps -, par Einstein et par le physicien. Alors qu’Einstein, comme nous l’avons vu, présente de manière très brève et l’on pourrait ajouter, sans « état d’âme », cette conséquence qu’il qualifie de « singulière » pour l’horloge du « système en mouvement » de battre plus lentement que l’horloge du « système au repos »[2], le physicien qui s’adresse à ses étudiants avoue une certaine gêne en se montrant obligé de compléter le texte de 1905 de toute une terminologie sensée finalement empêcher qu’il ne « soulève en apparence un paradoxe » qu’Einstein aurait eu ainsi, d’une certaine manière, le tort de ne pas évoquer et de ne pas prévenir. Comme nous l’avons montré en 1988 avec « L’interprétation de la relativité »[3], le texte du physicien se déploie par rapport au texte d’Einstein en miroir et, point par point, en opposition avec le texte de Bergson. Nous assistons de part et d’autre au même effort, en des sens opposés, pour écarter des « confusions de pensée » et prévenir une « boulette » que le texte d’Einstein serait incapable d’éviter de lui-même. Alors que pour le philosophe, le hiatus entre le temps vécu et unique avec les temps attribués et multiples risque de nous conduire à un paradoxe au regard du sens commun, pour le physicien c’est un manque de précision au cœur du texte d’Einstein qui risque de nous conduire à un paradoxe au regard de la logique, ou de la cohérence interne de la théorie[4] : que nous venions à penser que l’horloge du « référentiel en mouvement » retarde sur l’horloge du « référentiel au repos », et réciproquement… cela rend nulle une quelconque différence temporelle entre les deux systèmes et, plus grave encore, cela place la théorie devant une contradiction logique. Là aussi, du côté de la physique et non plus seulement du côté de la philosophie, c’est une « réflexion préalable » de la part de l’expert qui permet de dissiper « l’apparence paradoxale » que ne manquerait pas de susciter une première lecture chez un lecteur non averti. Effets de miroir fascinants autour du texte d’Einstein entre le regard du néophyte et celui de l’expert qu’il nous faut désormais déjouer[5]où s’opposent comme deux figures jumelles et symétriques, mais sans pouvoir jamais vraiment se rencontrer, les interprétations de la relativité du physicien et du philosophe :

 

3-3 LES HORLOGES EN MOUVEMENT RETARDENT-ELLES ?

La figure 3-4 montre que l’horloge de l’appareil, celle que la plupart des gens appelleraient « l’horloge mobile », mesure un intervalle plus petit entre les deux événements. On dit parfois, en termes simples, que les horloges en mouvement retardent [Ainsi d’Einstein dans son mémoire]. Il n’y a rien de faux dans cet énoncé, mais il soulève en apparence un paradoxe dû à des confusions de pensée. Si une horloge A dépasse une horloge B alors A retarde par rapport à B. Mais du point de vue de A, c’est B qui se déplace et par suite B retarde par rapport à A. C’est une contradiction logique, qui conduit souvent à des idées encore pires sur la relativité (…). Rien ne pourrait déformer plus complètement la théorie de la relativité. La différence d'indication des horloges existe réellement. Comme sur la figure 3.4 elle pourrait être photographiée et les photographies pourraient être étudiées par quelqu'un installé soit sur l’appareil [Paul se trouvant dans S’ selon Bergson, le « système en mouvement » K’ selon Einstein] soit au sol [Pierre dans S, le « système au repos » K] ; ils feraient les mêmes constatations. Pour résoudre ce faux paradoxe, il faut considérer avec soin ce que mesurent les horloges. Leur tic-tac ne mesure pas une quantité mystérieuse appelée Temps. (…) Dans le cas considéré ici, il y avait deux événements, le départ et le retour de l’éclair. Il n’y a qu’un référentiel où l’intervalle entre ces deux événements puisse être mesuré directement, par une seule horloge, c’est le référentiel de l’appareil. Dans tous les autres référentiels l’intervalle est plus long. L’intervalle de temps entre ces deux événements est minimum uniquement dans un seul référentiel. C’est l’horloge qui mesure le temps propre entre les deux événements [le départ et le retour de l’éclair] qui « retarde le plus ». Il n’y a pas là de paradoxe. » (op.cit., p. 53)

 

Il s’agit aujourd’hui, tout comme le projet en avait été énoncé il y a vingt-cinq ans, de briser le miroir de l’interprétation de la relativité et de renvoyer dos-à-dos les terminologies de l’expertise employées par le philosophe et le physicien à une seule et même terminologie, celle qui fut ajoutée par la communauté scientifique au texte d’Einstein : la terminologie de l’absolu et du relatif empruntée par Newton à Descartes et reposant sur la définition réciproque du mouvement par rapport au repos. Comme nous allons le voir, en effet, l’exposé que le physicien surajoute au texte d’Einstein repose, tout comme la critique bergsonienne mais de manière moins explicite, sur la définition cartésienne du mouvement. La remarque lue sous la plume du physicien (« Si une horloge A dépasse une horloge B alors A retarde par rapport à B. Mais du point de vue de A, c’est B qui se déplace et par suite B retarde par rapport à A. C’est une contradiction logique… ») est, en effet, absente du texte de 1905 : elle ne tient son existence que de la définition, elle aussi ajoutée au texte d’Einstein, du rapport mouvement-repos que le physicien s’est donnée au préalable. Une confusion fondamentale (au regard du § 18 d’Einstein de 1917) apparaît ainsi dans le rapprochement effectué par le physicien, qui peut sembler anodin, entre systèmes de coordonnées et référentiels, confusion qui se traduit comme nous allons le voir dans la reprise de la définition cartésienne et réciproque du mouvement que le physicien partage avec Bergson.

Dans son premier chapitre (« Relativité classique et postulat de la relativité »), J. H. Smith présente ce qu’il entend par « systèmes de référence » (§ 1-2) puis par « systèmes de référence inertiels » (§ 1-3). Cela correspond dans le texte d’Einstein de 1917 aux paragraphes 4 et 18 sur « Le système de coordonnées de Galilée » et « Les principes de relativité restreinte et générale ». Ce dernier paragraphe en particulier apporte, comme nous l’avons vu plus haut, une précision fondamentale sur la distinction entre la simple description des événements depuis des systèmes de coordonnées différents et la description physique des événements de la nature, distinction que l’on peut associer dans ce § 18 à la distinction entre « système de coordonnées » et « référentiel ». Tant que l’on se place, comme J. H. Smith, à l’intérieur du cadre défini par le seul principe de relativité restreinte sans examiner toutes ses relations avec le cadre newtonien, notamment la différence entre les référentiels en mouvement rectiligne uniforme et les référentiels en mouvement quelconque, cette distinction n’apparaît pas nécessaire dans la mesure où les systèmes de coordonnées considérés sont des systèmes en mouvement rectilignes uniformes ipso facto équivalents pour la description physique des événements de la nature car respectant la loi de l’inertie. Tel est d’ailleurs ce qui ressort de la première partie de l’exposé d’Einstein et de l’absence de distinction entre « système de coordonnées » et « référentiel » galiléen dans le § 4 (« Le système de coordonnées de Galilée »). C’est avec la même indistinction qui se comprend donc dans le cadre restreint du mémoire de 1905 que J. H. Smith présente « système de référence » et « système de coordonnées » dans son § 1-2 :

 

« Au cours du précédent paragraphe nous avons utilisé le terme « système de référence », et nous avons fait intervenir la mesure du mouvement par rapport à un système de référence. Nous utiliserons fréquemment ce terme ou plus simplement celui de « référentiel » et nous allons ici formuler nos idées de façon plus précise.

Bien que le terme soit habituellement appliqué à la totalité de la situation dans laquelle une expérience donnée est réalisée, il est pratique de voir le système de référence comme le système de coordonnées par rapport auquel les mesures sont faites (…)

Supposons que deux systèmes de coordonnées se déplacent l’un par rapport à l’autre avec une vitesse v. Appelons l’un le système O, l’autre le système O’. Le système O’ dans son ensemble se déplace vers la droite, avec une vitesse v, le long de la partie positive de l’axe des x du système O. Réciproquement, le système O se déplace vers les x’ négatifs, dans le système O’. La figure 1-1 montre le système à plusieurs moments différents. Les figures 1-1a, b et c ont été dessinées comme si le système O restait fixe sur la page, et les figures 1-1d, e et f comme si le système O’ restait fixe, mais il faut comprendre clairement que la séquence décrite par les figures 1-1a, b et c est la même que celle décrite par les figures 1-1d, e et f. La seule chose qui ait un contenu physique est le fait que O et O’ s’écartent l’un de l’autre à la vitesse v. La figure 1-1c est exactement semblable à la figure 1-1f. » (p. 5)

 

Telle est la situation de réciprocité que le physicien américain illustre par les figures jumelles suivantes :

einstein1006

Notons ici qu’au mouvement de O’ du point de vue de O est associé l’orientation vers la droite, au mouvement de O du point de vue de O’ l’orientation vers la gauche : la différence entre le « système au repos » K et le « système en mouvement » K’ désignés ainsi par Einstein est ramenée par le physicien à une relation de réciprocité entre systèmes jumeaux, ou encore à une relation de symétrie du type gauche-droite qui a pour conséquence de faire prévaloir l’identité sur la différence : « La figure 1-1c est exactement semblable à la figure 1-1f. » . Si l’on s’enferme ainsi dans cette indécision entre « système de référence » et « système de coordonnées », on est alors conduit à définir la relation entre « système en mouvement » et « système au repos » de manière essentiellement réciproque, tout à fait comme Bergson et finalement comme… Descartes. Si bien que le physicien s’exprime alors, mais sans s’en rendre compte, avec les termes employés par Descartes à l’encontre de la définition galiléenne du mouvement : « La seule chose qui ait un contenu physique est le fait que O et O’ s’écartent l’un de l’autre à la vitesse v. La figure 1-1c est exactement semblable à la figure 1-1f. ». Propos qui réactualise étrangement l’interprétation de la relativité défendue par Descartes quatre siècles plus tôt à l’annonce de la condamnation de Galilée et que critiquera précisément Newton :

 

 

 

« ... Il n'y a rien d'absolu dans le mouvement que la séparation de deux corps en mouvement l'un d'avec l'autre, mais que l'on dise de l'un de ces corps qu'il est en mouvement, de l'autre qu'il est en repos, ceci n'est que relatif et dépend de notre manière de concevoir, comme c'est bien le cas de ce mouvement qui est appelé local : ainsi quand je marche sur la terre, tout ce qu'il y a d'absolu ou de réel et de positif dans ce mouvement consiste dans la séparation de la surface de mes pieds d'avec la surface de la terre, et cette séparation n'est pas seulement pour moi, mais pour la terre, et c'est dans ce sens que j'ai dit qu'il n'y a rien de réel et de positif dans le mouvement qui ne soit aussi dans le repos. Quand j'ai dit que le mouvement et le repos étaient contraires, je l'ai entendu en considérant du point de vue de l'un des corps [le texte latin porte « intellexi respectu ejusdem corporis »], toujours le même, qui en effet se trouve dans des manières d'être contraires, quand sa surface est séparée de celle d'un autre corps ou quand elle n'en est pas séparée... » (REMARQUES QUE DESCARTES SEMBLE AVOIR ÉCRITES SUR SES PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE, tome IX des œuvres de Descartes, Vrin, 1996, pp. 361-362)

 

 

 

La différence entre « système au repos » et « système en mouvement », différence qu’Einstein maintenait ne serait-ce que verbalement, semble avoir complètement disparue dans le texte complété par le physicien, tout comme la différence nominale entre « droite » et « gauche » dans l’argumentation du cartésien Leibniz à l’encontre du newtonien Clarke[1]. Il s’agit d’ailleurs beaucoup plus qu’une simple analogie : la différence entre « système au repos » et « système en mouvement », différence qui se rattache comme nous venons de le voir à la différence entre « droite » et « gauche », est dissoute sous le seul critère cartésien de l’extension et de la distance spatiale : « La seule chose qui ait un contenu physique est le fait que O et O’ s’écartent l’un de l’autre à la vitesse v. La figure 1-1c est exactement semblable à la figure 1-1f. ». C’est sur la base de cette dissolution de la différence entre « système en mouvement » et « système au repos » (comme de dissolution de la différence entre « droite » et « gauche » pour Leibniz) que le paradoxe est « résolu » pour le physicien : « C’est l’horloge qui mesure le temps propre entre les deux événements [le départ et le retour de l’éclair] qui « retarde le plus ». Il n’y a pas là de paradoxe. ». Mais en contrepartie, quand il aborde le fameux « paradoxe des jumeaux », le physicien doit alors faire appel à des trésors d’ingéniosité pour rétablir la différence physique entre les deux systèmes. Tel est ce qui apparaît dans le chapitre 6 « Le paradoxe des jumeaux » où J. H. Smith imagine le jumeau voyageur sautant d’une fusée en partance de la Terre pour prendre une fusée le reconduisant à son point de départ... C’est ce qui ressort aussi, parmi beaucoup d’autres justifications de la différence entre les deux systèmes, du livre de J.-M. Vigoureux L’univers en perspective (2006) – livre « restreint », comme le sous-titre le précise, à la Relativité restreinte -, et notamment du chapitre VII « Lorsque la symétrie est brisée ». L’examen de ce livre est d’ailleurs de la plus grande importance car le physicien y expose la relation étroite entre Relativité restreinte et perspective, ce qui ne peut que conduire inévitablement à une réelle compréhension de l’interprétation de la relativité par Bergson[2].

 

C’est la raison pour laquelle il nous est apparu absolument nécessaire de commencer le présent travail dans un cadre physiquement et historiquement élargi de la Relativité, tout particulièrement par l’examen de la relation entre « système en mouvement » et « système au repos » en rappelant ce qu’Einstein écrivait dans le § 18 de 1917 et notamment cette proposition : « Pour la description physique des événements de la nature, aucun des deux corps de référence K, K’ ne se distingue de l’autre. » De même que le deuxième membre de la proposition d’Einstein - aucun des deux corps de référence K, K’ ne se distingue de l’autre - isolé du membre qui le précède - pour la description physique des événements de la nature - semble permettre l’amendement du texte d’Einstein par le philosophe, de même semble-t-il aussi permettre son amendement par le physicien. Or, il convient ici d’entendre la proposition d’Einstein et elle-seule : l’équivalence de K et K’ est une équivalence, non pas entre simples systèmes de coordonnées, ce qui nous enferme dans la réciprocité cartésienne et ses jeux de miroir (reprise que signale au niveau du vocabulaire la distinction cartésienne entre propre et impropre), mais entre corps de référence, c’est-à-dire une équivalence ouverte sur un troisième terme qui ne peut certes plus être porté par l’espace absolu de Newton, ou l’intuition pure de Kant, et qu’Einstein associe à la description physique des lois de la nature.

 

Pour autant que nous parvenons ainsi à déjouer progressivement les effets de miroir auxquels a donné naissance le texte d’Einstein à travers les amendements du philosophe et du physicien, il faut bien reconnaître que notre « réflexion » repose sur l’examen historique que suscite, pour celui qui s’intéresse à la philosophie, l’effort opiniâtre et finalement déçu, de Bergson. Et c’est alors, en ce point précis, que le jugement d’Einstein sur le philosophe nous semble fondamentalement injuste et mérite que l’on aille plus loin dans l’intérêt de la physique et de la philosophie.

 

En réalité, à la différence d’une simple « boulette », l’interprétation bergsonienne met l’accent sur un point essentiel de la physique newtonienne, point sur lequel la théorie d’Einstein s’articule directement. En affirmant que la théorie désignée par la communauté scientifique sous le terme de « relativité » abandonne la notion de mouvement absolu pour lui substituer la relativité complète, Bergson avance une proposition qui va certes s’avérer fausse par les conséquences déduites mais qui nous donne maintenant à réfléchir pourvu que l’on se garde résolument des nombreux effets de miroir qui l’accompagnent. Nous avons rappelé comment cette notion de mouvement absolu, et avec elle les notions d’espace et de temps absolus, constituait le fondement sur lequel reposait la première loi du mouvement que l’on a coutume d’appeler « loi de l’inertie » ainsi que la relation liant force et accélération. On peut certes, comme Bergson, reconnaître la présence indéniable de la terminologie cartésienne dans le système newtonien ; cependant la différence entre les Principes de la Philosophie et les Principes Mathématiques est fondamentale, et c’est à elle, tout particulièrement sur cette question de la différence entre mouvement et repos, qu’il faut revenir. Ainsi de la condamnation par Newton de la proposition métaphysique cartésienne liant la réciprocité du mouvement dans l’espace avec la considération d’un corps « pris comme immobile » :

 

 

 

« … Si donc des corps qui en entourent d’autres se meuvent vraiment, les seconds qui sont en repos relatif par rapport aux premiers se meuvent aussi. C’est pour cette raison que l’on ne peut définir le mouvement vrai et absolu par le déplacement d’un corps du voisinage de ceux que l’on considère comme au repos. Il ne suffit pas en effet de considérer les corps en repos, il faut encore qu’ils y soient vraiment. » (SPN).

 

 

 

Certes, en rendant obsolètes les notions de temps et d’espace absolus, la théorie de la Relativité restreinte sapait les bases sur lesquelles reposaient les concepts de la dynamique classique (en particulier ceux de mouvement inertiel et de référentiel galiléen), et rendait problématique la différence singulière entre « système en mouvement » (rectiligne uniforme) et « système au repos » que Newton renvoyait à l’horizon du mouvement absolu. Plus fondamentalement encore, elle rendait problématique la possibilité de s’appuyer sur une immobilité référentielle qui soit physiquement recevable (absolue dans la terminologie cartésienne), et non simplement arbitraire ou relative comme celle de la perspective chez Descartes (« ... Il n’y a rien d'absolu dans le mouvement que la séparation de deux corps en mouvement l’un d’avec l'autre, mais que l’on dise de l’un de ces corps qu'il est en mouvement, de l’autre qu'il est en repos, ceci n'est que relatif et dépend de notre manière de concevoir… »). La « boulette » de Bergson est d’en déduire, dans le sillage cartésien tacitement reconduit du côté de la physique, la complète réciprocité de deux systèmes en mouvement réciproque l’un par rapport à l’autre. Là où elle est plus - ou moins -, qu’une simple boulette, et finalement ne mérite plus cette appellation dans la mesure où elle apporte une lumière nouvelle pour la physique, c’est quand elle permet de réfléchir, sur des bases conformes à la théorie d’Einstein, les notions fondamentales et jumelles de la physique moderne, celle de l’inertie et de la relativité, dans le sillage de la définition historique du mouvement par Galilée.

 

Comme une évidence issue d’un passé lointain et séparée du contexte philosophique auquel elle se rattachait, c’est devant un certain silence[3] du texte d’Einstein que la critique de Bergson nous conduit, silence trop vite recouvert par la terminologie cartésienne et ses ornières conceptuelles. En montrant dans son schéma, le train en mouvement par rapport à la voie, Einstein expose d’une certaine manière une différence – celle-là même qui fera couler beaucoup d’encre avec le paradoxe des jumeaux -, dont il sape le fondement newtonien sans le remplacer, tout au moins dans ce premier moment, par un autre. Et l’on peut penser ici qu’à défaut d’un examen reliant la physique à son histoire, la terminologie de l’absolu et du relatif a pris dès lors du côté de la physique la place laissée vacante par le mouvement absolu. Si bien que la controverse qui éclata en 1922 entre Bergson et Einstein, et certains physiciens après lui, a eu ainsi pour seul fondement une terminologie qui n’avait plus lieu d’être…

 

 Mais qu’il y ait eu ici un certain silence concernant la définition du rapport entre « système en mouvement » et « système au repos » ne signifiait pas que ce que la terminologie du relatif et de l’absolu fondait – la différence physique entre mouvement et repos – devait être exprimé dans cette même terminologie… Ce qui demande d’effectuer un dernier détour du côté de la physique et de son histoire.

 

 

 

                                                                     Laurent Lefetz, 13 octobre 2013

 

 

 



[1] Cf. Bergson aujourd’hui

[2] Cf. « Bergson et Einstein : la perspective relativiste », Pâques 2013

[3]« DUREE OU SIMULTANEITE. Comment accorder les perspectives de Bergson et Einstein, ou comment le paradoxe des jumeaux peut en cacher un autre », colloque « Einstein chez les philosophes », ENS-Sorbonne, novembre 2005. Cf. Bergson aujourd’hui

 



[1] Il s’agit d’un exposé destiné aux étudiants de premier cycle publié en 1965 aux Etats-Unis sous le titre Introduction to Special Relativity, livre ensuite adapté et traduit en français sous la direction de Jean-Marc Lévy-Lebond (première édition : Masson, 1968 ; deuxième édition, 1973).

[2] « Par rapport à K, l’horloge est animée de la vitesse v ; par rapport à ce corps de référence, l’intervalle de temps qui sépare deux de ses battements successifs n’est pas une seconde, mais 1/√1-v2/c2 de secondes, c’est-à-dire un temps un peu plus long. Par suite de son mouvement, l’horloge marche plus lentement que lorsqu’elle est au repos…. »

[3] Revue philosophique de la France et de l’Etranger, 1989/3

[4] Il faudrait ici relever le rôle joué par le physicien Paul Painlevé, notamment lors de la séance du 3 avril 1922 au Collège de France où il évoque une difficulté touchant à la réciprocité entre les deux systèmes. Cf. Vincent Borella : « A propos du paradoxe de Langevin » (Philosophia Scientiae, tome 1, n°1, 1996). Voir aussi du même auteur : « L’introduction de la relativité en France : 1905-1922 », Nancy 2, 1998.

[5] Pour une première analyse du livre de J. H. Smith, voir « L’interprétation de la relativité » (P.U.F., 1989)

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P
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